Ses patrons l'appelaient « Toutoune ». Après trente années à leur service, cette Sénégalaise a porté plainte pour esclavagisme. Le procès s'ouvre aujourd'hui à Lyon
Fatou n'a ni été frappée, ni cloîtrée. Ni maltraitée. Ses murs à elle, c'était la privation de papiers l'enfermant virtuellement. Sa faute : sa soumission silencieuse et somme toute consentante. Ses patrons l'appelaient « Toutoune ».
Le fils de monsieur et madame lui glissait de temps à autre une pièce dans la poche qui venait compléter les 120 euros mensuels (1).
Qu'en aurait-elle fait Fatou d'un vrai salaire ? Madame, très charitable, lui offrait ses vieux vêtements, Fatou mangeait à la table familiale à Meyzieu. Certes, elle ne pouvait pas payer ses visites chez le médecin. « C'était comme une amie », disent ses anciens patrons.
Une amitié de trente ans qui s'achève de façon peu honorable pour ce couple de quinqua-sexagénaires de la banlieue lyonnaise. Les voilà convoqués aujourd'hui devant le tribunal correctionnel de Lyon pour avoir employé une Sénagalaise, l'avoir soumise à des conditions de travail incompatibles avec la dignité humaine avec une rétribution sans rapport avec le travail fourni.
Pour la première fois dans un cas de servitude domestique, le parquet lyonnais a retenu la qualification de traite des êtres humains.
Fatou avait un rêve : la France, et un espoir : se faire refaire le nez. Madame lui avait promis de prendre les frais en charge. Alors, Fatou a suivi la famille, du Sénégal où elle a été employée en 1979 jusqu'en Espagne en 1990 et ensuite en France en 1997.
Pendant toutes ces années, elle assure l'entretien de la maison et garde les enfants. A Meyzieu, les journées sont longues. A 6 h 30, elle sort promener les chiens, ramasse les crottes, puis astique, cuisine, besogne, s'occupe en 2008 des grands-parents à la maison de retraite voisine, souffle enfin à 23 heures. Les congés, elle ne sait pas ce que c'est, les feuilles de paie non plus. Ses ex-patrons ont bien essayé de lui trouver un titre de séjour. En vain.
Les années passent et Fatou vieillit. Elle pense à sa retraite : sans un sou devant elle, que deviendra-t-elle ? Elle raconte son histoire à sa voisine, aux gens qu'elle croise à Meyzieu. Un beau jour, en 2009, elle se réfugie dans une famille bordelaise puis porte plainte. Ses patrons tiquent et ne comprennent plus rien à leur « bonne Toutoune » : «Pourquoi partir au bout de trente ans ? », s'interroge leur avocat Me Palazzolo qui critique une « instruction bâclée et l'absence de confrontation entre les deux parties ». Ce face-à-face, Fatou, 57 ans, l'attend avec l'angoisse chevillée au corps. Un moment sans doute difficile aussi pour le couple d'expatriés français.
jeudi 21 octobre 2010
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