Elle voulait quitter son pays pour travailler en Europe comme coiffeuse. Arrivée à Lyon, Blessing, 21 ans, a été mise sur le trottoir comme beaucoup de jeunes Nigérianes. Récit
Elle n’a pas abandonné son rêve, Blessing (1). Elle s’y cramponne parce que c’est la seule chose qui lui reste. Un job de coiffeuse et une vie normale, c’est tout le bonheur que l’on peut lui souhaiter en cette année 2011. Mars 2009 : Blessing a 21 ans. L’âge de la rupture et de l’adieu à sa famille, à son pays, le Nigeria. C’est dans le salon de coiffure où elle travaille que la jeune fille est repérée.
« Une cliente m’a dit : ‘J’ai ma sœur en France. Tu peux être coiffeuse là-bas si tu veux. Tu gagneras de l’argent’ ». La sœur se révélera être une « mama » ou une « madame », comme Blessing l’appelle. Une mère maquerelle qui se sert directement dans les villes et villages du Nigeria dans un vivier de jeunes filles trop crédules. « C’est elle qui a avancé l’argent du voyage. Je savais qu’en Europe, je lui devrais 50 000 euros ». Mais Blessing ne fait pas la conversion avec la monnaie locale, le « naira ». La somme ne lui paraît pas astronomique. Pour elle, euros et nairas, c’est du pareil au même. Elle fait ses valises, transite par Abidjan puis atterrit à Paris d’où elle prendra un train deux semaines après pour Lyon en compagnie de sa « madame ». Très vite, la jeune fille comprend que les frais de son voyage sont astronomiques. « Je ne savais pas ce que c’était un euro. Quand on m’a expliqué, j’ai refusé et j’ai dit à ma madame que je voulais rentrer en Afrique mais il était trop tard. » Le lendemain, Blessing est jetée sur le trottoir vers Perrache avec une « formatrice ». La jeune black qui ne parle qu’un mélange d’anglo-nigérian, apprend les rudiments du français : « 30 euros la pipe, 50 euros l’amour ». « Je me sentais très mal, tous les jours, je pleurais mais elle m’avait pris mes papiers pour les filer à une autre fille et ils me disaient qu’ils allaient tuer ma famille si je ne travaillais pas ». Tout en tapinant la journée, le soir, la nuit, elle vit chez sa mama à Lyon à qui elle verse 450 euros de loyer qui se rajoutent à sa dette. Blessing parvient à rembourser 35 000 euros et décide d’arrêter. « Je ne voulais pas me tuer à la tâche pour elle. Elle n’était jamais contente et trouvait que je ne ramenais pas assez de clients ». Blessing peut attendre 7 heures, faire 4-5 passes et parfois aucune. Approchée en février 2010 par les enquêteurs de la brigade des mœurs, elle sent qu’une porte de sortie est possible. Elle lâchera le nom de sa « madame » après avoir été frappée plus violemment que d’habitude : « Elle voulait de l’argent et m’a battue avec un tesson de bouteille ». En octobre, Blessing tourne le dos aux trottoirs lyonnais. Son témoignage permet d’étoffer le dossier que les hommes du commandant Giroud ont concocté sur la mama âgée d’une trentaine d’années. Ils la cueilleront quelques mois plus tard. Depuis, la jeune Nigériane a trouvé refuge dans une association où elle apprend le français. Son avenir ? Elle le voit en France. « Je suis là, je reste ». Elle aimerait aussi revoir sa famille. Blessing se souvient des larmes de sa mère quand elle lui a avoué qu’elle se prostituait. Son aventure servira-t-elle de leçon aux filles de son âge ? Pas sûr que le message passe dans les rues de Lagos.
Annie Demontfaucon
(1) Prénom d’emprunt
Les maquerelles nigérianes maillons d’un réseau international
La brigade des mœurs vient d’interpeller une Nigériane pour proxénétisme La dernière prise de la brigade des mœurs de la Sûreté départementale remonte à la mi-décembre. Ce jour-là, les hommes du commandant Giroud interpellent une Nigériane soupçonnée de proxénétisme. Une « mama » de plus qui voit son petit trafic s’écrouler. Au total, en 2010, c’est une douzaine d’affaires qui ont été résolues par les policiers. Mais derrière les mamas lyonnaises, se cache un immense réseau qui a ses ramifications en Afrique et qui inonde l’Europe.
C’est en 2005 que les premières filles nigérianes ont fait leur apparition sur le trottoir lyonnais. « Le jour où on a viré les camionnettes à Perrache, l’espace commercial a été repris par les Nigérianes », explique le commandant Giroud. Combien sont-elles aujourd’hui ? Jusqu’à une quinzaine cours Charlemagne (Lyon 2 e) certains soirs. Mais elles tapinent également à Gerland (Lyon 7 e), très souvent sur le trottoir, parfois dans des camionnettes louées une cinquantaine d’euros la nuit. Leur âge : en moyenne 25 ans, mais certaines filles n’avaient que 16 ans tandis que la plus âgée avait 31 ans. Toutes ont vécu à quelques variantes, la même histoire. Recrutées dans des salons de coiffure ou dans des boutiques du sud Nigéria, elles partent pour un job de baby-sitting ou de coiffeuse. Transférées à Lagos, elles sont mises en contact avec un passeur qui leur fournit des faux papiers. Elles rencontrent aussi un sorcier qui les place sous sa coupe et leur donne un « juju », sorte de grigri censé leur porter chance. Mais le « juju » sera confisqué dès leur arrivée en France. Sans la protection du « juju », et par crainte des représailles sur leur famille, les jeunes Nigérianes acceptent de se prostituer. Avant d’arriver en France, elles transitent en bus par la Tunisie, la Lybie, la Côte d’Ivoire ou l’Italie. Elles prennent ensuite un avion pour la France où elles sont cueillies par leur « mama » ou « madame ». C’est là qu’on leur annonce le montant de la dette qu’elles ont contractée (de 50 000 à 60 000 euros alors que leur voyage a coûté à la mama 10 000 euros). Disséminées dans la ville, ne parlant que le « pidjin », elles logent chez la mère maquerelle qui mène une vie tranquille (travail, enfants). Une prostitution à « l’africaine » bien différente de la concurrence de l’Est. Objectif des enquêteurs : mettre en confiance les filles pour remonter la filière. Mais les policiers lyonnais savent qu’ils ne travaillent que sur « une tentacule » de la pieuvre. Leur espoir : la création prochaine d’une cellule spécialisée en France sur la prostitution nigériane.
A. D.
Chiffres
Les autorités ne communiquent pas de chiffres précis sur la répartition par nationalité des prostituées lyonnaises. Difficile aussi de faire un recensement, le milieu connaissant un gros « turn-over ». On dispose néanmoins de chiffres. On compte au total 425 prostitués de rue à Lyon (femmes et hommes) dont 15 à 20 % sont françaises ou ont acquis la nationalité française. Le gros contingent d’origine étrangère (70 %) vient de Bulgarie, du Cameroun et du Nigeria. Il y a également des Roumaines et des Guinéennes équatoriales.
Une vingtaine de femmes officieraient dans des salons de massage, une trentaine sur Internet et il existerait environ 160 clubs à hôtesse dans la région lyonnaise.
A cela se rajoutent les non professionnelles difficiles à quantifier.
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