par Camélia Kal.
Derniers au revoir, dernières étreintes passionnées mêlées de larmes et d'espérances, derniers youyous qui se fraient péniblement un chemin dans le brouhaha environnant, dernières bénédictions et les portes d'embarquement se referment. Nous sommes seuls désormais, une vie devant, une vie derrière. "Passeport!" hurle-t-il. Nous le sortons fièrement ouvert sur la page du visa, ce visa pour lequel toute une famille s'est relayée pour attendre l'ouverture des portes du Consulat de France, une journée d'Août sous le soleil africain. Nous sommes une élite africaine qui s'en va, qui reviendra peut-être, qui ne reviendra peut-être pas.
(Source : Le Monde)Il va sans dire que le visa qui m'était alors délivré par la France était un pacte qui stipulait implicitement, non pas un renoncement de ce que j'avais pu être avant que les portes d'embarquement ne se referment derrière moi, mais une volonté de m'intégrer et de respecter les valeurs de la République. Qu'est-ce que cela peut bien dire? Est-ce renier mes origines, oublier mes croyances et diluer ma culture africaine un peu trop épicée ? Quand bien même je le désirerais ardemment, il y en aura toujours un pour me rappeler violemment d'où je viens. Non, on ne se défait pas de son identité de naissance, de gré ou de force.
La France ne me demandait pas un reniement, une apostasie identitaire ou religieuse. La France me demandait tout simplement, comme on me demanderait dans n'importe quelle société d'ici ou d'ailleurs, d'enlever mes babouches avant d'entrer dans la mosquée. Si ces dernières arrivaient à me manquer, je pourrais toujours les retrouver...dehors. Personne jamais ne m'en empêchera.
Voilà ma Liberté.
Ma diversité à moi n'est pas une vitrine derrière laquelle nous contemplerons, satisfaits, ces visages venus d'ailleurs se mêlant joyeusement à des visages "bien de chez nous" par souci de quotas. Ce n'est pas une histoire de discrimination positive, car positive ou négative, elle porte toujours le nom de discrimination.
Ma diversité à moi n’est pas non plus un Souk des cultures, un souk des couleurs ou des religions où chacun y hurlerait sa vérité en essayant de couvrir la toute autre vérité qu’hurle son voisin.
Ma diversité à moi me dit que je viens d'ailleurs, qu'il faudra que je me battre deux fois plus peut-être, mais elle me dit aussi que je suis un individu, indépendamment de mes origines, de mes opinions et de mes croyances, je fais partie de la société française, à part entière. Elle me dit: "Tout accorder en tant qu'individu, rien en tant que Nation". "Communauté" correspondrait mieux dans ce contexte.
Voilà mon Egalité.
Cela dit, mes portes sont toujours demeurées ouvertes pour ceux qui voulaient goûter mes tajines, écouter mes histoires venues d'ailleurs, pour ceux qui voulaient connaître ma culture. D'où qu'ils soient, quoiqu'ils puissent penser tant qu'ils désirent partager sans juger. Mes histoires et mes considérations, pour ceux qui n'en veulent pas, je les remets juste dans ma guitare.
Voilà ma Fraternité.
Oui Messieurs-Dames, « je suis d’un autre pays que le vôtre, d'un autre quartier», mais je partage ces mêmes idéaux républicains, je partage cette même peur d’assister impuissante au démembrement de ce pays en communautés hétérogènes. J’ai peur de cette méfiance qui s'installe, de cette nausée qui semble tous nous indisposer. J'ai peur de cette gueule de bois le lendemain d'une folle et longue nuit où on s'est abreuvés sans modération d'idéaux de diversité et d'intégration non atteints.
Non, je n’ai pas oublié d’où je viens, j'en suis même fière. On ne se déracine pas le temps d’un aller simple Casablanca-Paris. Mais je suis fière aussi de dire que la France, c’est chez moi. Peu de gens comprennent ce qu’être « chez soi » signifie dans le cœur d’un exilé, ce qu’il faut d’amour et de frissons pour appeler une terre d’adoption « chez moi ».
Mes rêves d’enfant de France enrubannés sous un bras, une bouteille de Bordeaux sous l’autre histoire de chasser le goût amer de l'abandon, je m'en irai à grand regret. Je m'en irai quand les gens venus d'ailleurs ne seront plus les bienvenus parce qu'une poignée d'imbéciles parlent en nos noms, nous qui n'avons rien demandé. Je partirai quand je commencerai à penser que nous n’avons plus grand-chose à nous dire, plus rien à partager. J’irai alors vivre mes rêves inachevés là où ils ont commencé, un soir à Casablanca, entre deux lignes de Camus, entre deux refrains de Brassens, le jour où mon âme a hurlé du haut de ses douze ans, la tête dans les étoiles: « Je travaillerai dur à l’école et j’irai en France ! Que cela soit écrit, Inchallah!».
Mais je ne désespère pas, pas encore du moins car je sais que je ne suis pas seule, car je sais aussi qu'à la gueule de bois succèdent d'autres nuits d'ivresse, sauf que ces fois-ci, on pense à un peu plus diluer son vin. Que cela soit écrit... et accompli.