Des centaines de milliers d'entre eux sont appelés à participer au premier scrutin depuis la révolution, fin octobre. Ambiance kermesse au consulat, mais les Tunisiens ne s'inscrivent pas en masse.
Des centaines de milliers d'entre eux sont appelés à participer au premier scrutin depuis la révolution, fin octobre. Ambiance kermesse au consulat, mais les Tunisiens ne s'inscrivent pas en masse.
Leur reçu d'inscription à la main, Souad et Khalifa ressortent du consulat de Tunisie, à Pantin (Seine-Saint-Denis), avec le sentiment du devoir accompli. Ce samedi matin, le couple franco-tunisien a fait le déplacement depuis Sarcelles pour s'inscrire sur les listes électorales. Assidus aux urnes en France, ils participeront «pour la première fois» à un scrutin tunisien : tout comme leurs compatriotes du «bled», le million de Tunisiens qui résident à l'étranger – dont 600.000 en France – sont appelés à se choisir des représentants à l'assemblée constituante, fin octobre. Ce sera la première instance élue depuis la révolution qui a chassé Ben Ali, le 14 janvier.
«Touché» par ce nouvel exercice citoyen, Khalifa reste toutefois sur ses gardes, tout comme son épouse Souad : «On espère que l'élection se déroulera correctement.» Avant la révolution, plusieurs Tunisiens décrivaient un vote avec des enveloppes peu opaques et des bulletins «Ben Ali»... en rouge ! En 2009, 95% des 300.000 Tunisiens de l'étranger avaient ainsi «élu» le Président pour un quatrième mandat. Encore mieux qu'au pays, où le raïs n'avait obtenu «que» 89%.
La révolution a-t-elle redonné du crédit aux urnes ? Primo-votante, Jamila, Yvelinoise de 46 ans, a «l'espoir» que «ça change vraiment». «Confiant et optimiste», Ahmed Sassi, 30 ans, se réjouit: «C'est la première fois qu'on va faire une vraie élection. Il faut en profiter pour mettre en place de bonnes bases démocratiques.»
«Normalement, ce sera un moment important. Du moins, on l'espère», relativise Boutheina, son fiston au bout du bras. Cette quadragénaire dynamique doute même que les élections aient lieu. D'abord fixé au 24 juillet, le scrutin a été reporté au 23 octobre (en France, le vote se déroulera les 20, 21 et 22 octobre), ce qui a suscité la méfiance. «Vraiment motivée au début», elle se dit aujourd'hui «déçue par le gouvernement provisoire» et «inquiète de toutes les secousses politiques». Mais elle a fini par faire le déplacement, entraînant son mari récalcitrant : «Je suis là pour défier ceux qui veulent revenir en arrière et faire échouer la révolution», lance-t-elle.
Kermesse citoyenne
Youssef n'est même «pas sûr de voter». Pourtant «fier d'avoir acquis ce droit», le jeune ingénieur informatique, en France depuis 2008, aurait préféré «un référendum pour modifier la Constitution actuelle».
A la maison, Souad et Khalifa tentent de mobiliser leurs quatre enfants, binationaux eux aussi. «Ils ont suivi la révolution avec nous», raconte Souad. Mais les élections, «ils n'y croient pas beaucoup.»
A l'intérieur, le consulat a pris des airs de kermesse citoyenne. Des fanions aux couleurs du pays sont accrochés aux plafonds, des banderoles sonnant «l'heure de s'inscrire» ont été envoyées de Tunis pour orner les murs. Des affiches rappellent où se rendre pour voter ; à Trappes pour les habitants des Yvelines, Sarcelles ou Argenteuil pour ceux du Val-d'Oise, etc.
Dans les couloirs, dans les bureaux, aux guichets d'accueil, bref partout où il y a une table, une dizaine de personnes enregistrent les inscriptions. Accusé d'avoir pris part au flicage des Tunisiens de France sous Ben Ali, le consulat ne fait que fournir locaux et matériel. Le personnel consulaire a été écarté du processus. L'Instance supérieure indépendante pour les élections leur a préféré des bénévoles. Parmi eux, se mêlent des militants de longue date, des frais engagés portés par l'élan révolutionnaire ou même des gens «recrutés sur le tas, qui sont venus s'inscrire et qui reviennent donner un coup de main», raconte Aïmad Ben Yakhlef, d'Uni'T, l'une de ces nombreuses associations post-14 janvier.
Les futurs électeurs posent beaucoup de questions et n'hésitent pas même à demander «pour qui ils doivent voter», rapporte le jeune enseignant. Les bénévoles, qui se doivent d'être neutres, ne savent parfois pas à qui ira leur propre bulletin. «Il y a tellement de partis!», souligne Nawel Ghaim, 26 ans, militante dans une association féministe si jeune qu'elle n'a pas encore de nom.
Les Tunisiens devront choisir entre les 100 partis autorisés depuis le 14 janvier. «Ce sera un gros travail», soupire Souad. «Ça nous pose un problème», reconnaît Samia, 46 ans, qui compte sur sa famille en Tunisie, et tout spécialement son «cousin journaliste», pour lui conseiller «pour qui voter». La profusion des formations, «ça bloque, dit-elle. Mes frères ne se sont même pas déplacés pour s'inscrire. Ils attendent de voir». Ahmed et Naoual Sassi n'ont pas «un parti bien déterminé, mais ça se restreint de plus en plus». «D'ici au 23 janvier, on saura», tranche l'époux. Pour se décider, il s'aidera des «discussions avec les amis», notamment «ceux qui sont en Tunisie, sur le terrain».
Délai d'inscription reporté
Pour les partis, la France est un enjeu de taille. Au total, les Tunisiens de France, répartis entre deux circonscriptions, enverront dix représentants à la constituante, sur un total de 218. Toutes les principales formations ont donc déjà commencé à battre campagne: Ennahdha, le parti islamiste, a organisé une fête aux allures de meeting, à Bobigny, pour ses 30 ans. Nejib Chebbi (PDP), l'un des principaux leaders de l'ex-opposition légale, s'est payé le Trianon, début juillet. Le rythme des réunions publiques, tractages et débats ralentit cet été. Il reprendra de plus belle dès la rentrée.
Mais l'élection ne suscite pas un emballement démesuré. Certes, à Pantin, ce sont quasiment 1000 personnes qui ont fait le déplacement chaque jour, ces derniers temps. Pour favoriser les inscriptions, les émigrés, nombreux à passer les vacances en Tunisie, ont accès à un bureau dans chaque gouvernorat. Mais, en Tunisie, seuls 16% des électeurs potentiels s'étaient inscrits, vendredi. La date limite a été reportée au 14 août.
«On a eu beaucoup de mal au démarrage, à cause des services consulaires qui ont traîné des pieds, en particulier à Pantin», dénonce Tarek Ben Hiba, le président de la Fédération tunisienne pour une citoyenneté des deux rives, très impliquée dans le déroulement des inscriptions. La FTCR, explique-t-il, a milité en vain pour des bureaux d'inscriptions itinérants, qui aillent aux devants des citoyens: stands sur les marchés fréquentés par les communautés tunisiennes, bureaux à bord des ferries Marseille-Tunis, bus pour les habitants de Nantes, Angers, Lille ou encore de Corse, censés faire des centaines de kilomètres pour s'inscrire au consulat dont ils dépendent, etc.
Mais Tarek Ben Hiba doit aussi reconnaître: «Ce qui est sûr, c'est que tout le monde n'a pas fait la révolution».
jeudi 4 août 2011
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