Face à l’ampleur de la baisse du niveau du français, le conseiller pédagogique à l’Inspection d’académie de Kolda, Tidiane Sylla, entend vulgariser un outil pédagogique articulé autour de la musique rap pour la résurrection de la poésie à l’école. Dans le cadre des rencontres hip-hop initiées par l’Institut culturel français Léopold Sédar Senghor de Dakar, il animait vendredi dernier une conférence centrée sur la pédagogie du rap. Par Birame FAYE
12-01-2009 - Le Quotidien (Sénégal) http://www.lequotidien.sn
Face à la dégringolade de la langue française dans les écoles sénégalaises, le rap poétique s’érige en alternative pédagogique. C’est la conviction de Tdiane Sylla qui a animé, vendredi dernier, une conférence sur le thème «le rap, un outil pédagogique». Ce nouveau concept de rap poétique, permet au professeur de français de jauger la compétence linguiste de l’élève, gage de bonnes dispositions communicationnelles. Mais le plus déterminant est qu’il permet également de situer l’élève dans son univers culturel. L’avantage du rap est aussi qu’il autorise l’étude des textes ayant un soubassement culturel francophone, ajoute-t-il conformément à la loi d’orientation de l’éducation de 1993. Selon le conférencier, par ailleurs conseiller pédagogique, les élèves étudient depuis longtemps des textes qui reflètent des réalités sociales d’ailleurs et d’une autre époque qu’ils ne vivent pas. Ce qui ne suscite guère d’intérêts chez les apprenants. De ce fait, il existe un écart entre l’espace scolaire et l’espace familial sans un lien véritable.
Les rappeurs caricaturent le vécu quotidien des citoyens. Ils abordent des thématiques qui reflètent leur angoisse, leur joie et leurs aspirations au mieux être. C’est pourquoi le rap peut constituer un pont entre les deux univers sociaux. Aujourd’hui que l’élève est au centre de la nouvelle approche de l’enseignement-apprentissage, les professeurs doivent recourir aux textes de rap qui émeuvent, des textes qui détiennent une valeur littéraire comme ils le font avec des poèmes de Senghor ou Baudelaire.
L’analyse grammaticale, typologie et lexicale des textes peut révéler un intérêt comparable aux poèmes classiques. Cela faciliterait le commerce entre l’élève et l’enseignant, renseigne Tidiane Sylla. Dans cet optique, les pédagogues sont tous heureux de constater que «les élèves ont ce qu’ils appellent des pré-requis du fait que leur génération a eu le privilège d’intérioriser la culture hip-hop». La poétique du rap est bien élaborée. Elle comporte un rythme sonore, des vers et même les Mc raisonnent en termes de mesure. L’esthétique du rap pour ne pas dire sa littéralité est à chercher dans les sonorités. Elles suscitent l’effort de l’écoute qui fait défaut aux textes classiques. En atteste le célèbre vers de Verlaine qui prônait «de la musique avant toute chose».
Les élèves les plus réticents à lever le doigt s’expriment quand il s’agit de parler du rap. La communication devient plus facile à établir. De là, la performance du verbe est accrue et l’objectif de l’enseignant à faire exprimer ses apprenants en français est atteint. S’appuyant sur Senghor et Omère le modérateur Emmanuel Faye persiste en soutenant que «le poème n’est accompli que s’il devient chant et musique».
LES OBSTACLES D’UNE STRATEGIE
Instaurer un mode d’apprentissage bâti sur le contexte culturel national se réalisera difficilement à court terme. Et c’est pourquoi, l’enseignant tend toujours à reconduire le modèle reçu durant l’âge scolaire. Ce conservatisme à outrance a été bien confirmé par un intervenant, un enseignant visiblement à l’orée de la retraite, le principal du Collège Abbé Pierre Sock. «Il faut faire attention à la distraction des élèves», prévient-il. Toutefois, ce principal de collège a exprimé toute confiance de voir cette nouvelle pratique participative prospérer.
Dépassé cette révolution culturelle, il en appelle à ces jeunes collègues pour une utilisation appropriée et opportune des messages du rap pour re-dynamiser la langue française. Les vieux enseignants sont très réticents au changement. Ils n’hésitent à tirer la sonnette d’alarme sur le danger potentiel que constitue le rap poétique susceptible d’entraver la lecture de grandes œuvres littéraires. Il revient aux professeurs de français de mimer sur la méthodologie de leurs collègues enseignants d’anglais qui incitent leurs élèves à découvrir des célébrités comme Bob Marley, du rap ou du jazz. Mieux ces derniers font leurs cours à l’aide de la musique anglophone. Ce qui a entraîné une véritable passion chez les jeunes.
L’impact de l’ingéniosité pédagogique est nettement perceptible dans le langage des jeunes des centres urbains et des rappeurs. «Des socialement exclus» à la quête d’une promotion sociale. Ils valsent entre le l’argot et la langue soutenue. Un balottage linguistique que le professeur doit impérativement décrypter dans sa classe.
Ce qui caractérise le texte rap est l’anticonformisme. Le rappeur n’écrit pas comme le littéraire «puriste» même si la réception du message ne confronte point de distorsion au niveau de la frange juvénile. Et Tidiane Sylla qui défend urbi et orbi que la grammaticalité des vers n’empêche pas leur littéralité. Aussi, le rap accouche des néologismes d’où la nécessité d’une perspicacité de l’enseignant. Soucieux du meilleur maniement de la langue de Molière, il doit se transformer en metteur scène d’après le modérateur Faye. «Il met en scène et se met en scène afin d’établir un espace communicationnel moins stressant», explique-t-il. Cette méthode permet de capter l’auditoire. Il doit être un «comique de situation pour dérouler un tapis linguistique». On doit travailler pour le retour de l’oralité à travers le rap écrit en français qui est plus facile à mémoriser et à déclamer par les enfants.
Le rap est donc un instrument qu’on peut utiliser pour la renaissance de la poésie à l’école. Nombre de participants regrettent la mort des séances de récitation qui étaient des moments pédagogiquement uniques. En outre l’enseignant doit adopter une posture d’accompagnateur qui par instant doit chercher la corrélation entre les grands courants littéraires et de la musique rap, histoire de montrer par exemple le rapport entre les rappeurs dit puristes qui définit ce genre comme un instrument de revendication social et le réalisme du 19 siècle. Car, le hip-hop anime en même temps plusieurs courants de pensée. On peut trouver dans certains titres de la Négritude, du surréalisme. Geminal de Emile Zola a un exemple d’érotisme qui reflète un contexte social. «Pourquoi alors dans ce cas se méfier des textes engagés du rap dans les écoles ?», s’interroge Tidiane Sylla.
Stagiaire
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