Dans l’Ain, le racisme ordinaire du terrain au tribunal
FOOTBALL - Quelques insultes, des cris de singe. Scène ordinaire d’un match de football amateur dans l’Ain ? Sauf que cet épisode sera pour une fois jugé, cet après-midi, par le tribunal correctionnel de Belley. Le 25 janvier, à Lagnieu, petite commune du département, les locaux menaient 5-0 contre Rossillon, un club de village où évoluent plusieurs joueurs de couleur noire. Des cris de singe ont émaillé la rencontre, puis un supporter a crié, à l’attention du capitaine de Rossillon, Makam Traoré, qui parlait à l’arbitre : «Sale nègre, ferme ta gueule.» Ensuite, un joueur de Lagnieu aurait ajouté : «On en a mis 5 dans votre cul, sale nègre.» Avant de conclure : «Sale singe.» L’arbitre a entendu. Il a stoppé le match. Et Makam a craqué...
(Source : Libération)
Pas de façon violente. «Heureusement, dit son avocat, Me Jakubowicz. Il l’aurait découpé en rondelles et c’est lui qui passerait en correctionnelle.» Non, Makam, ceinture noire de karaté, s’est mis à pleurer. Accroché à un grillage du stade, il s’est retrouvé secoué de sanglots, incapable de s’arrêter. Comment les insultes d’une poignée d’abrutis l’ont-elles ainsi marqué ? «Je n’en peux plus, répond cet homme de 32 ans, marié, père de deux enfants. J’en ai trop entendu depuis que je joue au football dans ce département. Je n’ai jamais rien dit parce que nos entraîneurs nous demandent de ne pas réagir, mais j’en peux plus. J’ai envie de rentrer dans mon pays [le Sénégal, ndlr]. »
Identifier. D’autres clubs de l’Ain confirment les fréquents épisodes racistes dans les villages du département. «Une fois, raconte un dirigeant de Bourg-Sud, club d’un quartier populaire de Bourg-en-Bresse, on jouait à Jassans. Cela a duré une demi-heure : “Sales gris”, ”sales rats”, “sales bougnoules”. On a tout entendu. Quand il n’y a que 30 personnes autour d’un terrain, il faut un sacré sentiment d’impunité.» A Lagnieu, l’arbitre ayant pris ses responsabilités, une plainte a été déposée. Personne n’a pu identifier les supporters racistes, mais le joueur mis en cause a été convoqué par les gendarmes et, après une nuit de garde à vue, il a reconnu les faits, lors d’une confrontation avec Makam Traoré. Il s’est même excusé pour les «horreurs» prononcées. Puis s’est rétracté en ressortant, après une rencontre avec son avocat, qui accuse les gendarmes d’avoir extorqué ces aveux. L’arbitre sera présent à l’audience. «Je l’ai fait citer, indique Alain Jakubowicz, car c’est le principal témoin des injures. Il pourra aussi raconter la réaction de Makam, le choc que provoquent ces comportements.» Le 25 février, John Mensah, footballeur pro de l’Olympique Lyonnais, également défendu par Alain Jakubowicz, avait demandé à être remplacé, pour ne plus entendre les cris de singe lancés par un supporteur du Havre.
Dans l’affaire de Makam Traoré, la commission de discipline du district de l’Ain a donné match perdu et quatre points de pénalité à Lagnieu pour les insultes racistes de son public. Pour le joueur mis en cause, en revanche, elle prendra sa décision en fonction de celle du tribunal correctionnel. Joueurs et dirigeants de Rossillon ne comprennent pas. Ils se sentent traités en coupables lorsqu’ils témoignent devant la commission de discipline. «On vous demande trois fois si vous êtes certain, si vous avez des preuves. On vous rappelle lourdement que cela peut être lourd de conséquence d’accuser quelqu’un», raconte Myriam Maraud, la présidente. Comme d’autres clubs comptant des joueurs noirs ou d’origine arabe, elle a le sentiment qu’il existe «deux poids, deux mesures». Que leurs joueurs sont plus sanctionnés. «Peut-être que dans ces clubs, ils ont le sang un peu plus chaud, répond sans rire Paul Michallet, président du district. Quand ça vient en récidive, ils sont plus lourdement sanctionnés.»
Certains clubs citent des exemples troublants. Contre Montmerle cette saison, Bourg-Sud a écopé de 9 cartons jaunes et 4 rouges en un seul match. L’arbitre avait aussi repris un joueur de Bourg-Sud parce qu’il appelait l’un de ses coéquipiers d’origine marocaine par son prénom. «Ici, on parle en français, pas en arabe», lui avait-il dit. «L’arbitre s’est mal comporté et il n’arbitrera plus à ce niveau, assure Paul Michallet. Mais il ne faut pas tout mélanger. Il n’y avait pas de racisme là-dedans.»
Nerveux. Les clubs assurent que le district ne veut surtout pas faire de vague. Après la plainte de Rossillon, son entraîneur a écopé de huit matchs de suspension, pour des insultes au délégué du match, dirigeant de Lagnieu. Le président du district récuse les accusations de laxisme et relativise le racisme. Pour lui, «le foot n’est ni plus ni moins que le reflet de la société» . Les élus du département, alertés par la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), posent le problème autrement. Pour l’adjoint aux sports de Bourg-en-Bresse, «ces événements» proviennent «peut-être d’une culture spécifique diffuse» dans ce département de l’Ain où le Front national fait encore ses scores gras. «J’ai joué en région parisienne, dit Makam. Je n’ai jamais connu cela.» Ses coéquipiers deviendraient nerveux, et un match s’est terminé en bagarre le 19 avril. Lui s’efforce de rester calme. A un spectateur qui l’insultait, il a répondu : «En 1998, quand tu agitais ton drapeau, il y avait pas quelques négros dans ton équipe de France ?»
Olivier BERTRAND
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