Pointe-à-Pitre, le 24 février 2009. Des Guadeloupéens attendent l’issue des négociations (Bonaventure/AFP).
(Source : http://www.la-croix.com/article/index.jsp?docId=2366319&rubId=788)
«Trouver des lieux pour que les gens se connaissent»
George Pau-Langevin, députée PS de la 21e circonscription de Paris« Ce qui manque le plus : le fait que les gens, Noirs, Blancs, métros, Antillais, se fréquentent et se connaissent. Je suis née en Guadeloupe (NDLR : à Pointe-à-Pitre, en 1948) et je vis à Paris depuis que j’ai 18 ans. Quand je retourne là-bas, je suis étonnée : il y a des gens qui vivent depuis des années aux Antilles et qui n’ont pas d’amis antillais ! Ils continuent à vivre entre eux. Il faudrait qu’on trouve des lieux, des points de passage, pour que les gens se connaissent.
Dans les années 1960, les gens qui restaient vivre aux Antilles s’intéressaient aux Antillais, il y avait des échanges, tout le monde se recevait, beaucoup de mariages mixtes, aussi. Aujourd’hui, de nombreux métropolitains viennent pour le climat, l’agrément de la vie, mais sans curiosité. Il y a même quelques préjugés. Pour que les choses aillent mieux, il faudrait que ceux qui s’installent outre-mer fassent l’effort de mieux comprendre la population.
Autre sujet : l’accès à l’emploi. Outre-mer, beaucoup de jeunes quittent l’école sans qualification : il faut les aider à suivre une formation professionnelle, à avoir une expérience professionnelle ailleurs, en métropole ou à l’étranger. C’est ce que faisait une entreprise (ANT) dépendant du secrétariat d’État à l’outre-mer, que j’ai dirigée pendant longtemps. Mais son budget a été rogné l’an dernier. J’ajoute que quand un jeune revient formé, il devrait pouvoir trouver une place plus facilement dans une entreprise.
Dans l’administration, l’effort a été fait de recruter des cadres locaux. Mais cet effort doit être fait aussi dans les entreprises. Quand une entreprise métropolitaine se crée aux Antilles, elle recrute la plupart du temps son encadrement en métropole. C’est mal vécu par la population. En métropole, les entreprises doivent s’ouvrir à la diversité. C’est encore plus vrai aux Antilles, où la majeure partie de la population est colorée. C’est d’autant plus important que l’entreprise est un lieu pour se connaître, se découvrir. »
« Lancer des forums de la réconciliation »
Max Jasor, 56 ans, patron d’une entreprise moyenne, porte-parole de l’Union des chefs d’entreprise guadeloupéens« Créer des emplois et de la richesse est difficile dans une société malade comme la nôtre. Depuis vingt ans, la Guadeloupe va de grève en grève. Et je vous passe l’ampleur de la criminalité et de la délinquance, notamment chez les jeunes, l’étendue de la toxicomanie et du sida, les relations déplorables entre hommes et femmes… Le problème ne se limite pas aux salaires. Les racines des difficultés résident dans les divisions entre races, entre classes, entre sexes, entre générations.
La Guadeloupe et aussi la Martinique ont besoin en priorité de réconciliations, qu’il conviendrait d’organiser dans le cadre de forums. La première des réconciliations est celle des races. L’esclavage, avec la négation de la part d’humanité chez l’autre qu’il comportait, a été le pire des crimes sur cette terre qui n’a jamais connu jusqu’à présent la fraternité.
Il faut enfin que cela soit dit et que pardon soit demandé et donné. Je parle bien de réconciliation, comme celle qui s’est déroulée en Afrique du Sud, et pas de repentance, qui est dangereuse dans la mesure où son ressort peut être l’humiliation. La réconciliation implique un geste de part et d’autre. Les békés doivent assumer cette part maudite de leur héritage liée à l’esclavage. De leur côté, les descendants d’esclave ne doivent pas faire de la haine un fonds de commerce. Ces forums de la réconciliation sont indispensables pour que la société aille mieux dans tous les domaines. Si cela pouvait être l’objet des états généraux envisagés par le président Nicolas Sarkozy, j’en serais ravi. »
« Il faut organiser un référendum »
Leila Cassubie, 48 ans, intervenante sociale à Pointe-à-Pitre« On a une société à deux vitesses, marquée par les injustices sociales et par une crise identitaire. Au niveau économique, il y a le poids des grands groupes en situation de monopole. Au plan politique, la majorité de nos élus et leur entourage n’ont pas vraiment conscience de la situation et sont coupés de la population, celle-ci subissant leurs décisions. C’est le mode de gouvernance qu’il faut surtout changer dans les Antilles.
Les citoyens doivent apporter leur pierre à l’édification d’une société plus juste. Au plan local ou communal, c’est possible par la création de comités de quartier, que les élus doivent consulter. Il conviendrait, en outre, de repenser le cadre institutionnel en envisageant de remplacer le double statut actuel (région et département) par un statut unique, qui comporterait une seule assemblée exerçant l’ensemble des compétences et dans lequel le rôle de l’État serait redéfini. On peut même imaginer davantage d’autonomie, dans le domaine économique et social notamment, grâce à une assemblée unique et un gouvernement qui en serait issu.
Mais cette évolution ne doit pas être menée sans que la population soit impliquée. Elle doit être consultée par référendum, après l’instauration d’un débat. Ensuite, il faut imaginer des modalités pour l’associer aux prises de décision. Le pouvoir ne doit plus être confisqué par quelques-uns. Cela implique, bien sûr, le sens de la prise de responsabilités, qui est à développer dès l’école. On participe, on se sent plus concerné, on retrouve sa dignité. Cela est à la portée des Antilles, où la culture traditionnelle prédispose au partage et à la solidarité. »
«Le mot exploitation doit disparaître, au moins dans les actes»
Mgr Jean Hamot, administrateur diocésain de Basse-Terre« Les Guadeloupéens veulent être considérés comme des Français à part entière. Nous faisons partie d’un ensemble, avec une culture et une histoire propres. Peut-être faudrait-il prendre davantage en compte cette histoire. C’est un peu cela que la grève a souligné.
Notre société n’a pas pansé toutes ses blessures, les plus anciennes comme les plus récentes. Notamment celles issues de l’histoire coloniale. Cet apaisement se joue dans les liens entre la métropole et l’île. À travers ce profond malaise se dessine une question identitaire et culturelle. Pour ces raisons, un travail de réconciliation doit être mené entre les citoyens et les élus, et donc à plus forte raison avec l’État.
L’Église reste une institution encore très écoutée en Guadeloupe. Nous souhaitons aider les gens à comprendre, à retrouver qui ils sont, comme nous y invite l’adage “Deviens ce que tu es”, repris dans le thème de notre projet pastoral. Chaque baptisé est appelé à prendre sa place dans la société, dans le monde professionnel…
L’Église favorise ce travail de conscientisation. Ici, les chrétiens sont très actifs dans le syndicalisme. Il faut saluer par ailleurs le rôle important qu’a joué la commission Justice et Paix, en proposant des pistes de réflexion au début de ce conflit. De plus, nous entretenons des liens étroits avec l’Église de métropole : les 11 et 13 février, les quatre évêques des DOM se sont réunis avenue de Breteuil pour analyser la situation. Nous voulons aider les chrétiens à relire ces événements avec un regard plein d’espérance. Mais le mot “exploitation” doit disparaître, au moins dans les actes. »
Recueilli par Antoine Fouchet (envoyé spécial), François-Xavier Maigre et Solenn de Royer