dimanche 4 juillet 2010
[COTE D'IVOIRE] Présidentielle, une Arlésienne (Libération)
La population comme la communauté internationale se lassent du report récurrent du scrutin par le chef de l’Etat, Laurent Gbagbo, dont le mandat a pris fin en 2005. Par THOMAS HOFNUNG
La scène s’est déroulée récemment à Abidjan, au siège de la mission des Nations unies en Côte- d’Ivoire, l’Onuci. L’un des membres annonce à son chef sa décision de quitter le pays, après plusieurs années de bons et loyaux services. «Je vous comprends, réagit le Sud-Coréen Young-Jin Choi. De toute façon, il n’y aura jamais d’élection ici.» Boutade ou véritable découragement d’un haut fonctionnaire qui serait lui-même sur le départ, pour la Somalie dit-on ?
Plus de trois ans après la signature des accords de Ouagadougou (Burkina Faso) entre le président ivoirien, Laurent Gbagbo, et le chef des ex-rebelles, Guillaume Soro, l’échec est patent. L’ex-colonie française est dirigée par un chef de l’Etat dont le mandat a officiellement expiré en octobre 2005 et par un Premier ministre dont la seule légitimité repose sur les armes. L’Onuci, dont la mission consiste à «accompagner» le pays vers les élections, «fait du surplace», déplore l’un de ses agents. Et le «facilitateur», le président burkinabé, Blaise Compaoré, évoque ouvertement la fin de sa mission…
Mercredi, le Conseil de sécurité de l’ONU s’est dit «profondément préoccupé par les retards que continue de subir le processus électoral», appelant les parties ivoiriennes «sans plus de retard» à publier la liste électorale et à annoncer la date de l’élection présidentielle. En février, Gbagbo avait dissous la Commission électorale indépendante (CEI), l’accusant de fraudes. Depuis, une nouvelle commission a été formée, mais le processus traîne. Et les partisans du chef de l’Etat évoquent avec insistance le désarmement des combattants et la réunification administrative du pays comme préalables aux élections. Au risque de retarder un peu plus la tenue du scrutin.
Ubuesque. La Côte-d’Ivoire est victime d’un curieux phénomène : plus les protagonistes de la crise appellent à des élections «le plus rapidement possible», moins celles-ci se rapprochent - une situation ubuesque qui entretient une atmosphère délétère à Abidjan, où l’on évoque la circulation d’armes dans les quartiers. Depuis des mois, le pays vit au rythme du processus d’identification de la population, suivi de l’inscription des électeurs et, aujourd’hui, d’interminables vérifications de la «liste électorale provisoire», liées à des accusations de manipulations.
Qui a le droit de voter ? C’est la question la plus sensible en Côte-d’Ivoire, un pays régi par le droit du sang, où au moins le quart des habitants est d’origine immigrée. Le camp présidentiel soupçonne l’opposition, en particulier le leader du Nord, Alassane Ouattara, de fraudes. Mercredi, le Premier ministre, Soro, a assuré qu’une nouvelle date pour les élections tant attendues serait annoncée «dans quelques semaines». «Gbagbo sent bien qu’il lui sera difficile d’évoluer sur la scène internationale au-delà d’octobre», veut croire un diplomate sur place. Celui que les rebelles avaient tenté de déposer, en septembre 2002, aura alors achevé son «mandat cadeau», comme on dit à Abidjan. «Après la Coupe du monde de football qui a occupé les esprits en Côte-d’Ivoire, on va entrer dans la saison des pluies. En août, on fêtera le cinquantenaire de l’indépendance… Octobre est vite arrivé», prophétise un observateur étranger.
«Deal». En apparence résignés, les Ivoiriens montrent des signes d’impatience. Ces derniers mois, plusieurs mouvements sociaux ont éclaté. Depuis le début de la crise, l’Etat est toujours parvenu à payer les salaires des fonctionnaires et le port tourne à plein régime, notamment pour exporter les fèves de cacao, dont le pays reste le premier producteur mondial. Mais les investisseurs, tout comme les touristes, se font rares. La pauvreté augmente à vue d’œil. Les routes se dégradent, et nombreux sont ceux qui cherchent à quitter le pays. C’est le cas de ces étudiants de l’université de Cocody, à Abidjan, qui ne disposent d’aucun débouché professionnel. «A force de reculer, un pays finit par rencontrer son passé», écrivait récemment l’éditorialiste Venance Konan, stigmatisant le grand bond économique en arrière de son pays.
L’opposition non armée hésite sur la conduite à tenir. En mai, les jeunes «houphouétistes» (du nom du «père de la Nation», président de 1960 à 1993) - les militants du PDCI (Parti démocratique de Côte-d’Ivoire) et du RDR (Rassemblement des républicains) - avaient prévu une grande marche à travers le pays pour demander des élections. Mais, quelques jours avant la manifestation, leurs dirigeants ont tout annulé, suite à des entretiens bilatéraux confidentiels avec le chef de l’Etat. Un «deal» a-t-il été passé au sein de la «bande des trois» : Laurent Gbagbo, Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara ? Ce revirement de dernière minute entretient la suspicion à Abidjan, et décrédibilise un peu plus l’opposition.
Les jeunes militants de ces partis ont très mal réagi à cette annulation. Mais ils se sont soumis. «Les partis sont verrouillés par les leaders, analyse un bon connaisseur de la scène locale. Ce sont eux qui ont l’argent, les jeunes ne peuvent rien faire sans eux.» C’est l’un des principaux problèmes auxquels doit faire face le pays : l’absence de relève politique. Déposé par un coup d’Etat, en 1999, Bédié désire ardemment réparer cette injustice de l’Histoire. Exclu des élections pour «défaut d’ivoirité», Ouattara veut enfin pouvoir se mesurer aux électeurs. Quant à Gbagbo, il affirme souhaiter, en cas de victoire, mettre en œuvre le programme pour lequel il avait été élu en 2000. Chacun a une revanche à prendre, et le pays marche à reculons.
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