Pages

vendredi 23 septembre 2011

[ÉCONOMIE] Un trader d'origine ghanéenne fait perdre 2,3 milliards de dollars à une banque suisse (Paris Match)

C’était un trader presque comme les autres, qui travaillait à la City de Londres pour le compte de la banque suisse UBS. Maintenu en détention à l’issue d’une comparution, jeudi, l’homme s’est déclaré «désolé». Pas sûr que cela satisfasse ses anciens employeurs.

"Il est désolé de ce qui s’est passé". Par la voix de son avocat, Patrick Gibss, Kweku Adoboli, l’homme par qui le scandale et les pertes colossales sont arrivés, s’est excusé auprès d’UBS, son employeur, bien sûr, mais aussi auprès de l’ensemble de la corporation des traders. Ce jeune homme de 31 ans, fils d’un diplomate ghanéen aujourd’hui retraité qui travaillait auparavant aux Nations unies, avait éclaté en sanglots lors de la précédente comparution. Jeudi, vêtu d’un costume gris sombre, d’une chemise blanche et d’une cravate bleue foncée, il n’a pas craqué durant l’audience, baissant la tête quand le juge lui a confirmé son maintien en détention. Ce dernier a même ajouté un chef d’inculpation supplémentaire à un tableau déjà bien noirci, pour une fraude commise entre octobre 2008 et décembre 2009. Vendredi dernier, il avait déjà été inculpé d' «abus de position», «de faux en écriture » et de «fraudes comptable» et placé en détention à Londres. Défendu par le cabinet britannique Kingsley Napley, celui-là même qui avait déjà conseillé Nick Leeson, le trader britannique ayant causé la faillite de la banque Barings en 1995 – Nick Leeson avait été condamné à six ans et demi de prison -, Kweku Adoboli n’a pas plaidé coupable des faits qui lui sont reprochés. Mais un gouffre s’est déjà ouvert sous ses pieds et les abysses ne devraient pas tarder l’engloutir. Reste une question, toujours sans véritable réponse. Comment ce jeune homme de 31 ans, spécialisé dans les fonds indiciels (montages financiers adossés à l’évolution d’un indice boursier) pour une filiale anglaise de la banque suisse, a-t-il pu faire perdre plus de deux milliards de dollars à UBS?

"Besoin d'un miracle"

Envoyé en Angleterre par son père pour suivre ses études en 1991, le natif de Tema, au Ghana, a longtemps été un élève modèle de l’école publique. Diplômé de l’Université de Nottingham, étudiant de l’Ackworth School, une école privée qui forme aux métiers de la finance, le «Jérôme Kerviel» d’UBS était, selon ses proches, un travailleur acharné qui bossait parfois jusqu'à tard dans la nuit. Et si des amis de Kweku évoquent dans les colonnes du «Times», des fêtes extravagantes donnés chaque mois par le trader ces dernières années, aucun n’a réagi quand ce dernier postait sur son compte Facebook qu’il avait «besoin d’un miracle», une semaine avant son 31e anniversaire… et son arrestation du 15 septembre dernier.

Pourtant, selon l'acte d'accusation, le jeune homme aurait commis non pas une mais plusieurs fraudes, la première du 1er octobre 2008 au 31 décembre 2009, la seconde du 1er janvier 2010 au 14 septembre 2011. Il faut dire que le trader ne doutait de rien, surtout pas de lui-même. Avec un salaire de 342 000 euros annuels, l’homme pouvait s’adonner à ses différents hobbies, la photographie et la musique, et vivait très confortablement dans un logement à 1200 euros la semaine. Cités par le «Times», ses anciens voisins sont élogieux, rappelant combien le garçon était attentionné, offrant une bouteille de champagne pour apaiser un conflit de voisinage et passant des journées paisibles en compagnie de sa fiancée, une infirmière qui vivait dans le sud-est de Londres. Des détails moins reluisant affleurent, comme la visite nocturne de jolies jeunes femmes, ou le fait qu’il se vantait de remporter des véritables batailles de rue sur les marchés européens, mais rien de bien signifiant. Comme Jérôme Kerviel, son "double français", Kweku Adoboli était un obsédé de la performance, un ambitieux aux dents acérés qui affirmait que tout était sous contrôle à ses collègues de la Global Synthetic Equities Trading, alors qu’il menait déjà différentes fraudes pour tenter de réduire les pertes qu’il avait occasionnées.

Depuis la découverte de celles-ci, UBS, qui employait le garçon depuis 2006, a ouvert une enquête interne sur la défaillance de son système de contrôle des risques. Le conseil d'administration de la banque suisse a constitué un comité présidé par David Sidwell, administrateur indépendant et ex-directeur financier de Morgan Stanley, afin de conduire une enquête indépendante sur les opérations frauduleuses et les systèmes de contrôle. En 2008, la banque avait déjà été renflouée par l’Etat suisse après des pertes considérables. Impliqué dans des litiges de fraude fiscale, UBS avait également été obligé de remettre aux autorités américaines les noms de certains de ses clients. Selon la BBC, si UBS a refusé de dire quel département était directement concerné par les actes frauduleux, les pertes se seraient produites sur le marché de change.

Kweku Adoboli, lui, devrait croupir quelques mois – années – en prison. Et relire son ouvrage préféré, «Le Loup de Wall Street», la biographie d’un certain Jordan Belfort. Ce dernier, ancien trader de New York passait par la case prison, s’était confié à notre correspondant Olivier O’Mahony en avril 2009. Ce repenti de la haute finance avait alors ces mots prémonitoires, en analysant la crise financière: «Je suis persuadé que tout ce que j’ai connu, la cocaïne, les prostituées, les manipulations sur les cours, c’est encore pire à présent.»

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire