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jeudi 1 avril 2010

[POLITIQUE] L'immigration (et Drogba) s'invite dans la campagne anglaise (Rue 89)


(De Londres) Les conservateurs britanniques veulent plafonner le nombre annuel d'immigrés. Une telle mesure handicaperait l'économie, prévient un think tank, et pourrait priver le pays de ses footballeurs étrangers.

Dans moins de six semaines, les Britanniques vont décider s'ils reconduisent Gordon Brown ou s'ils ramènent la droite au pouvoir, pour la première fois depuis la fin de l'ère Thatcher. La campagne électorale s'annonce assez terne.

Il faut dire qu'on ne connaît toujours pas la date officielle des élections. C'est une étonnante tradition britannique : le Premier ministre attend le dernier moment pour dissoudre le Parlement. Mais ici, tous les commentateurs parient déjà sur le 6 mai.

Pour les conservateurs, ce devait être l'élection imperdable, une promenade de santé, face à des travaillistes à court d'idées, usés par 13 ans à Downing Street, dans un contexte de récession économique sans précédent.

Mais voilà que depuis quelques semaines, l'avance des Tories ne cesse de rétrécir dans les sondages. D'où une campagne de plus en plus agressive… et la tentation du coup de barre à droite. (Voir la vidéo en anglais)


Dans cette toute nouvelle campagne d'affichage, le parti conservateur s'en prend au bilan de Gordon Brown, au pouvoir depuis 1997, d'abord comme chancelier de l'Echiquier de Tony Blair (l'équivalent du ministre des Finances) puis, depuis deux ans, comme Premier ministre. Parmi les angles d'attaque contre le Labour, il y a aussi l'immigration.

Plafonner l'immigration légale

La grande idée du leader tory, David Cameron, consiste à plafonner le nombre d'immigrés hors Union européenne admis légalement chaque année sur le territoire britannique, comme il l'expliquait en janvier :

« Au cours de la décennie écoulée, l'immigration nette a atteint plus de 200 000 certaines années, ce qui signifie deux millions de personnes en plus sur une décennie. Je pense que c'est trop. Nous devrions avoir une immigration nette dans les dizaines de milliers plutôt que dans les centaines de milliers. »

Le programme du parti conservateur est encore plus explicite :

« Depuis 1997, la politique travailliste des portes ouvertes a donné lieu à l'augmentation de l'immigration la plus importante et la plus durable de notre histoire. En 1997, l'immigration nette était de 48 000. En 2008, elle était de 163 000. Un gouvernement conservateur ramènera l'immigration aux niveaux des années 1990. »

En clair, avec le retour de la droite au pouvoir, il faut s'attendre à voir l'immigration nette plafonnée aux alentours de 50 000 personnes par an, c'est-à-dire trois fois moins qu'aujourd'hui. « Irréalisable », estime l'Institute for public policy research, un think tank de centre gauche, dans un rapport publié dimanche. Pour celui-ci, c'est la compétitivité de l'économie britannique qui est en jeu.

Plusieurs flux d'immigration échappent au contrôle gouvernemental :

  • les ressortissants de pays de l'Union européenne, qui peuvent s'installer librement au Royaume-Uni (l'élargissement à 27 a d'ailleurs largement contribué à gonfler les chiffres britanniques depuis 2004) ;
  • les réfugiés et demandeurs d'asile, dont le statut est réglementé par des conventions internationales.

« Seuil impossible à respecter »

Cela signifie que pour respecter le plafond fixe annuel, la marge de manœuvre est étroite : il faudra soit revoir de fond en comble la pratique du regroupement familial, soit réduire considérablement la main d'œuvre étrangère qualifiée.

« Le gouvernement serait-il content d'annoncer à KPMG [une société d'audit, ndlr] qu'il ne peut pas faire venir à Londres un analyste de son bureau new-yorkais ? Ou de dire au club de football d'Arsenal qu'il ne peut pas “signer” un jeune joueur prometteur de Côte d'Ivoire ? »

L'allusion à Didier Drogba est transparente, mais les chercheurs de l'Institute for public policy research sont aussi nuls que moi en foot : Drogba joue à Chelsea, pas à Arnesal ! Leurs conclusions sont sans appel :

« Un seuil de 40 000 semble impossible à respecter dans les circonstances actuelles, sans menacer à la fois les performances économiques et le droit des citoyens britanniques ou des immigrés établis de vivre avec leur famille. »

La hantise des 70 millions

Pourquoi David Cameron s'entête-t-il à vouloir plafonner l'immigration légale, au lieu de se contenter d'un discours musclé contre l'immigration illégale ? L'idée d'un plafond est en fait une réponse directe à une hantise démographique : au rythme actuel, le Royaume-Uni va franchir la barre des 70 millions en 2029, selon le Bureau national des statistiques (contre 62 millions aujourd'hui). Pour certains sujets de Sa Majesté, cette perspective est terrifiante. D'autant que l'accroissement prévu est largement dû à l'immigration.

La poussée xénophobe va bien au-delà des ultras du British national party, qui a réuni près d'un million de voix aux européennes de 2009. « L'immigration menace l'ADN de notre nation » déclarait sans détour George Carey, ancien archevêque de Canterbury, en janvier, en réclamant un plafonnement de l'immigration à 40 000 personnes par an. Au-delà, aura-t-on franchi le « seuil de tolérance » ?

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