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mercredi 15 avril 2009

[Politique] L’ambition affichée de Rama Yade (Libération)

Rama Yade a de l’ambition. Et le fait savoir dans un entretien à Libération. Probable candidate aux régionales de 2010 en Ile-de-France, elle veut aussi devenir parlementaire. Pour se construire, dit-elle, un ancrage «plus légitimant» que le mandat de député européen que Sarkozy voulait lui imposer. D’ici là, entre deux voyages, elle prétend lancer son propre club politique, pour «réfléchir à l’après crise» avec les jeunes de son âge, «la génération sacrifiée des études longues et des CDD»

(Source :
Libération)

par Alain Auffray et Antoine Guiral

Rama Yade (Archive)

Rama Yade (Archive) (REUTERS)


Au sommet des sondages, elle navigue dans une position paradoxale. Icône du gouvernement, elle est censée incarner, dans le dispositif sarkozyste, l’ouverture aux minorités visible et aux jeunes. Mais si les Français en on fait leur personnalité préférée, c’est aussi parce qu’elle est a eu le culot de dire non à Sarkozy. Avec 59 % de bonnes opinions, elle a pris la tête du baromètre Ipsos-le Point (1) de février alors que le chef de l’Etat, lui, poursuivait sa glissade. Dans ce sondage, elle dépassait son ministre de tutelle, Bernard Kouchner, qui, en décembre, jugeait inutile le secrétariat d’Etat aux Droits de l’homme…

Paradoxale, Rama Yade l’est aussi par son parcours. Elle a passé son adolescence en banlieue, dans un quartier sensible. Mais elle est fille de diplomate - son père, ex-conseiller du président Léopold Sédar Senghor, a abandonné le domicile conjugal en 1990 -, scolarisée au Sénégal puis en France, dans des établissements catholiques. Tout en cultivant un franc-parler mis sur le compte de son inexpérience, elle connaît les codes de la vie politique et fait montre, si nécessaire, d’une parfaite maîtrise de la langue de bois.

Reconnaissance.Les relations entre Nicolas Sarkozy et sa secrétaire d’Etat oscillent entre fascination mutuelle et agacement perpétuel. Il l’aime, elle non plus. Il voudrait qu’elle lui soit éternellement reconnaissante de l’avoir propulsée si jeune vers de si hauts sommets. Mais elle n’a de cesse de vouloir exister par elle-même et de montrer à l’opinion qu’elle est la hauteur de sa fonction. Rebelle un jour, petite fille le lendemain : ainsi fonctionne Rama Yade avec le président de la République. Capable de lui tenir tête ou de le mettre dans l’embarras, puis cherchant à obtenir son indulgence à coup de lettre d’excuses ou de boîtes de chocolat. Mélange de culot et de sentimentalisme manipulateur, l’élue municipale de Colombes est un pur produit du sarkozysme.

Elle a d’emblée intégré le prix que valait son image dans le dispositif du chef de l’Etat. Lors de ses premières sorties à l’étranger, Nicolas Sarkozy la prenait systématiquement dans ses bagages. Il était fier de présenter à ses homologues sa «Condee Rice» et ce «nouveau visage de la France».

Indépendance.A l’été 2007, un voyage en forme de bizutage déplaît fortement à la secrétaire d’Etat. En Tunisie, dans l’Etat policier de Ben Ali, elle est priée de se taire et de ne rencontrer aucun opposant. Soucieuse de prouver son indépendance, elle va prendre sa revanche quelques mois plus tard avec une déclaration tonitruante sur Kadhafi. Cela lui vaudra une explication salée avec le chef de l’Etat. Mais en bons pragmatiques, tous deux concluront que cette sortie les avait servis l’un comme l’autre. La vraie fâcherie va survenir avec son refus catégorique d’être candidate aux européennes. Estomaqué qu’on ose lui tenir tête, il se dit «déçu» que sa protégée puisse commettre une telle «erreur».

La rupture avec Sarkozy est pourtant loin d’être consommée. Le 26 mars, Rama Yade est invitée à accompagner le chef de l’Etat dans sa tournée africaine. La veille, à Paris, elle partage avec Carla Bruni la tribune d’une «soirée de mobilisation pour les femmes des Kivus».

«Je suis jeune, noire, musulmane et mariée à un socialiste [Joseph Zimet, ex-PS, membre du cabinet de Jean-Marie Bockel, ndlr] : normalement je devrais être de gauche», se plaît-elle à souligner. En 2005, c’est ce profil que cherchait Emmanuelle Mignon, directrice des études de l’UMP. Avec Frédéric Lefebvre, elle a poussé la «perle noire» de l’UMP à s’engager dans la campagne présidentielle du candidat Sarkozy.

Le 14 janvier 2007, à la tribune du congrès d’investiture de Sarkozy, Rama Yade confirme solennellement sa rupture avec une gauche «sans projet et sans vision», qui n’accorde aux enfants de l’immigration «que de la pitié plutôt que du respect». L’argument selon lequel, avec Sarkozy, le progrès serait «passé à droite» n’a toutefois pas convaincu les électeurs de Colombes qui, l’an dernier, ont assuré une large victoire au candidat du PS, contre la maire sortante UMP, soutenue par Rama Yade.

Visibilité. Loin de l’affaiblir, la mise en cause de son secrétariat d’Etat par Bernard Kouchner semble avoir renforcé Rama Yade. Il a donné une visibilité inespérée au «tour de France des droits de l’homme» qu’elle a entamé en juin, dans l’indifférence générale. Invitée du Forum de Libération, le 21 mars, elle notait qu’on s’était «longtemps demandé à quoi servait le ministère de l’Ecologie qui n’empêche ni les sécheresses ni les inondations, et heurte souvent les intérêts économiques. Aujourd’hui, c’est un ministère d’État».

A l’évidence un secrétariat d’Etat n’épuise pas ses ambitions. Elle ne rate pas une occasion de souligner combien l’élection de Barack Obama «ringardise» une France en «régression», selon elle, pour ce qui concerne la promotion de ses jeunes et de ses élites issues de l’immigration.

(1) Réalisé les 6 et 7 février auprès de 940 personnes.

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