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vendredi 25 septembre 2009

[SOCIETE] Banlieues : le modèle communautaire américain tente les sociologues français (Le Monde)

Faut-il s'inspirer du modèle américain de "politique de la ville" ? Doit-on réinventer le système français de gestion des quartiers difficiles en s'inspirant de l'exemple "communautaire" mis en place aux Etats-Unis ? Alors que la recherche française est longtemps restée dominée par le spectre des dérives "à l'américaine", un colloque, organisé vendredi 25 septembre à l'Ecole normale supérieure (ENS) à Lyon, montre qu'une partie des sociologues observent désormais avec intérêt la capacité des villes américaines à mobiliser leurs habitants et à favoriser leur participation dans les quartiers difficiles. Et soulignent, a contrario, "la grande faiblesse" de la politique de la ville française.

(Source : Le Monde)

L'élection de Barack Obama à la Maison Blanche, fin 2008, a évidemment contribué à replacer le modèle américain au centre de toutes les attentions. Le président des Etats-Unis fut en effet, au milieu des années 1980, un "organisateur de communauté" dans les quartiers sud de Chicago, une fonction à cheval entre travailleur social, éducateur politique et agitateur professionnel. Théorisée dans les années 1960 par le sociologue américain Saul Alinsky, sa mission était d'amener les habitants à s'organiser pour défendre leurs intérêts face aux bailleurs sociaux, aux banques, aux municipalités... Une démarche qui a contribué à l'émergence de leaders et de pouvoirs locaux.

Cette approche se situe aux antipodes de la politique de la ville française, traditionnellement rétive à la reconnaissance des communautés, comme le soulignent les participants au colloque. "Le modèle républicain français est un modèle descendant : l'Etat sait toujours ce qu'il faut faire. Et comme, par ailleurs, on a historiquement une grande peur des communautés, la France est passée à côté de cette dimension collective", indique Claude Jacquier, directeur de recherche au CNRS. "Là où, dans d'autres pays, les initiatives dans les quartiers à problèmes viennent des habitants, une culture de défiance envers la société civile continue de caractériser nos administrations, niant la légitimité des demandes des habitants, par ailleurs mal représentés politiquement", explique Sophie Body-Gendrot, professeur de sciences politiques, qui insiste sur l'absence de "voix" et de "porte-parole" dans la jeunesse des quartiers.

Les politiques actuelles, notamment les opérations de rénovation urbaine, engagées en 2003 par Jean-Louis Borloo, ne dérogent pas à cette approche malgré l'affichage d'une logique "participative".

Sur les quelque 40 milliards investis d'ici à 2013 pour rénover les quartiers, la quasi-totalité vise des opérations sur le bâti, très peu sur l'humain. "La rénovation urbaine est une caricature de l'approche française où l'on refait la ville sur place. On démolit, on reconstruit et on pense avoir tout réglé. A aucun moment, sauf de façon purement rhétorique, on ne cherche à donner de la force ou du pouvoir aux habitants eux-mêmes", constate Jacques Donzelot, spécialiste de sociologie politique, pionnier de l'observation du modèle américain.

En France, souligne le sociologue Laurent Mucchielli, "les objectifs sont décidés par les représentants locaux de l'Etat et par des professionnels de la politique de la ville. Non par les associations locales qui n'en assurent que la mise en oeuvre". Il relève par ailleurs que la plupart de ces associations sont "installées par le pouvoir politique et contrôlées dans leur gestion par l'Etat" : "Le mot même de communauté (communauté d'intérêts, communauté de voisinage) est dégradé en "communautarisme" pour désigner une forme régressive de citoyenneté." Laurent Mucchielli lit là "le paradoxe d'une politique qui passe son temps à regretter que les gens soient passifs et "assistés" mais qui ne comprend pas que sa façon de faire "paternaliste" ne peut produire que cela".

Cette approche se traduit de façon très concrète. Lorsque la secrétaire d'Etat à la politique de la ville, Fadela Amara, décide de rapprocher les quartiers des services publics, elle installe des délégués des préfets dans les cités. Lorsqu'apparaissent des listes autonomes issues des quartiers, comme lors des dernières élections municipales, elles sont immédiatement qualifiées de "communautaires" par leurs concurrents et les autorités locales. Les dernières élections municipales n'ont d'ailleurs pas modifié la donne : selon le Haut Conseil à l'intégration (HCI), la proportion d'élus municipaux issus de la diversité est passée de 3,2 % à 6,7 % dans les villes de plus de 9 000 habitants entre 2001 et 2008. Soit à peine quatre maires, 495 adjoints et 1 844 conseillers municipaux issus de l'immigration extraeuropéenne.

Les chercheurs ne sont pas subitement devenus des défenseurs du modèle américain dans son ensemble. Notamment parce qu'ils insistent sur le degré toujours élevé de ghettoïsation aux Etats-Unis. Et parce qu'ils considèrent que la politique de la ville française a probablement atténué la "crise des banlieues". Mais ils veulent voir dans la question de la participation une nouvelle étape. "L'approche américaine s'explique évidemment par l'histoire des Etats-Unis, la place réduite de l'Etat fédéral, l'importance de l'immigration. Mais le fait que le Royaume-Uni, l'Europe du Nord, l'Allemagne, les Pays-Bas, par exemple, s'inspirent de ce type d'approche devrait nous faire réfléchir", souligne M. Donzelot.

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