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vendredi 27 novembre 2009

[ECONOMIE] Amadou, ouvrier sans-papiers, 1300 euros par mois (Rue 89)

Amadou, ouvrier sans-papiers (Audrey Cerdan/Rue89).

Sans-papiers, Amadou Dramé est en grève depuis le 14 octobre pour obtenir sa régularisation. Ouvrier dans le bâtiment, il a accepté qu'Eco89 passe ses revenus au rayon X.

Amadou Dramé rit beaucoup. De notre ignorance lorsqu'on l'interroge sur la profession de ses parents. « Cultivateurs, bien sûr », répond-il. Une évidence à Kayes, une région de l'ouest du Mali qu'il quitte en 2005.Le grand départ pour un jeune homme de 29 ans, alors professeur d'arabe.

Visa touriste et billet pour Paris, il le sait, il ne reviendra pas. Comme d'autres, il va rejoindre quelqu'un en France, s'y installer et travailler. Il ignore alors tout de la vie de travailleur sans-papier en Europe.

Depuis 4 ans, il travaille comme manutentionnaire dans le batiment. Il monte des cloisons dans les des bureaux, essentiellement à la Défense. Des missions d'intérimaire de plus en plus espacées depuis l'automne 2008 :

« Je travaille tous les mois mais depuis un an, ce sont presque deux semaines de moins par mois. Je n'ai jamais exercé d'autre métier en France. A part un peu de ménage et de restauration mais ça n'a pas duré longtemps. »

1Revenus mensuels : 1 300 euros

D'un mois à l'autre, le salaire d'Amadou Dramé n'est pas le même. Au minimum, quelque 900 euros. Au maximum, 1 500 euros :

« Généralement, pour 176 heures de travail par mois, je touche 1 300 euros net. »

Depuis le 14 octobre, il est en grève pour obtenir sa régularisation :

« Ce n'est pas pour emmerder les patrons. C'est parce qu'on n'a pas le choix. Sans-papiers en France, c'est un peu dur. En sortant de chez moi, j'ai peur. En rentrant chez moi, j'ai peur. Un flic peut t'arrêter à n'importe quel moment. Je n'ai pas envie de me retrouver en garde à vue, comme un criminel.

Ca m'est arrivé quatre fois. Les flics m'ont dit on n'a pas le choix, c'est la loi. J'ai dormi une seule fois au commissariat. Je me suis dit que je n'avais rien à y faire, je travaille, je ne vole personne, je ne suis pas un criminel. »

Les entreprises ne se penchant guère sur la régularité du séjour en France de leurs employés, Amadou Dramé n'a pas eu de mal à trouver du travail :

« Les patrons ne posent pas de questions. A supposer qu'ils me posent la question, je répondrais oui sinon je ne peux pas travailler ! Mais ils ne demandent rien parce que dans le fond, ils savent très bien qu'on n'a pas de papiers. Ils en profitent aussi. »

Les grévistes vivent depuis le 14 octobre grâce au pot de solidarité des syndicats, aux dons des comités de soutien et à la tirelire qu'ils tendent aux passants devant leur piquet de grève.

Amadou, avec d'autres ouvriers sans-papiers sur le lieu de leur piquet de grève (Audrey Cerdan/Rue89).

2Dépenses mensuelles : 1 100 euros

Parce qu'il ne peut pas disposer d'un compte dans une banque française, Amadou Dramé est toujours client d'une banque malienne. Il dispose d'une carte de retrait et d'un livret d'épargne :

« J'avais ouvert un compte dans une banque française mais ils se sont rendus compte de ma situation. Ils l'ont fermé. On peut toujours essayer mais bon, s'ils grillent, t'es viré de la banque. »

  • Loyer : 200 euros

Célibataire, Amadou Dramé vit chez son oncle, dans un foyer de travailleur migrant (FTM) dans le XXe arrondissement de Paris. Les deux hommes partagent une chambre de 12 mètres carrés :

« Je ne peux pas avoir de chambre à mon nom et j'ai peur qu'ils suppriment l'autorisation d'hébergement d'un tiers. »

  • Transport : 74,40 euros

« C'est une carte orange “zones 1 à 3”, étant donné que je travaille aussi en banlieue. Quand on va au-delà de la zone 5, la boîte rembourse l'aller, mais pas le retour. »

  • Cantine : 300 euros

Pour 10 euros par jour, Amadou Dramé a droit à trois repas par jour dans l'une des dizaines de « cantines africaines » de Paris. Etablies dans les foyers de travailleurs, elles sont essentiellement fréquentées par des immigrés africains :

« On peut manger sur place ou acheter de la nourriture. Il y en a à peu près partout dans Paris. Quand je suis sur un chantier un peu isolé, je vais au kebab. »

  • Courses, divers : 130 euros

« C'est à peu près la somme que je mets pour les autres achats. C'est surtout des boissons, de l'eau. Il y a aussi 30 euros pour le téléphone. J'ai une mobicarte. C'est un ami qui l'a acheté sous son nom. »

  • Téléphone fixe, Internet : 15 euros

Sa chambre est équipée d'un téléphone et d'un ordinateur.

  • « Cotisations » parentale et familiale : 300 euros

« C'est l'argent que j'envoie à ma famille. J'ai deux soeurs, une tante, des nièces… Je leur envoie environ 100 euros quand je peux. Chaque mois, c'est une personne différente qui touche cet argent.

La cotisation parentale est obligatoire et fixe, celle-là ! J'envoie 200 euros à mes parents. C'est normal, ils n'ont pas les moyens. C'est leur retraite. Ils ont travaillé toute leur vie pour leurs enfants. C'est partout comme ça, en Espagne, en Afrique, même en France. On doit s'occuper de ses parents. »

3Assurance, cours de français…

Amadou Dramé déclare ses revenus chaque année, mais n'est pas imposable. Contrairement à une idée reçue, il ne bénéficie d'aucune aide, pas plus qu'il ne bénéficie de la sécurité sociale, à laquelle il cotise pourtant.

Tous les ans, il verse 80 euros à une caisse d'assurance africaine :

« Quand les immigrés meurent, ils ne sont pas enterrés ici. Les corps sont rapatriés et ces assurances s'occupent de ça. La poussière coûte cher. »

Des matchs de foot à La Chapelle mais globalement, peu de loisirs. Il dit n'aimer ni le cinéma, ni les cafés. Les balades, oui, aux Halles et à la Défense.

Parce qu'il espère changer de voie, il prend des cours de français, dispensés par la mairie de Paris. Six heures par semaine pour 40 euros par an :

« J'ai eu mon diplôme de français (un certificat de formation générale, ndlr), ça m'a aidé d'apprendre le français. Si je reste ici, j'aimerais avancer. Je ne vais pas faire ce métier toute ma vie. Si j'ai des papiers, je pense passer le bac et faire autre chose. »

Pas particulièrement heureux en France, Amadou Dramé ne pense pas prendre racine :

« Je ne suis pas sûr d'avoir envie de rester. Travailler et ne faire que ça, ce n'est pas une vie. Et être traité comme un voyou, je n'ai jamais connu ça avant. »

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