Deux semaines après la tentative de meurtre ayant visé le capitaine Moussa Dadis Camara, chef de la junte au pouvoir en Guinée, ce pays d’Afrique de l’Ouest vit toujours des heures incertaines. Les militaires ne parviennent pas à faire oublier les crimes gravissimes commis par l’armée le 28 septembre dernier, lors de la répression sanglante d’une manifestation de l’opposition.
Dans un rapport de 200 pages publié hier, l’ONG Human Rights Watch estime que cette répression, qui a fait au moins 150 morts, était « préméditée et planifiée » et « constitue un crime contre l’humanité ».
Le recours à des violences sexuelles « d’une extrême brutalité » à l’égard de plusieurs dizaines de femmes participant à la manifestation pacifique a tardivement ouvert les yeux de la communauté internationale, qui a pris ses distances avec le régime.
Jeudi 17 décembre, la « commission nationale indépendante d’enquête » chargée de faire la lumière sur les crimes commis le 28 septembre a annoncé avoir enregistré « 33 cas de suspicion de viols », sans avoir recueilli aucun témoignage.
Des femmes corrompues ont témoigné
« Nous avons été informés que la plupart des femmes qui ont témoigné devant la commission internationale d’enquête mise en place par l’ONU sont des femmes corrompues qui, selon nos informations, ont chacune reçu 400 000 francs guinéens (50 €) », a déclaré son président, Siriman Kouyaté, parlant sous l’œil de militaires.La commission n’a pas donné de chiffres sur le nombre de victimes, mais les ONG évoquent 150 à 200 morts, tandis que la junte avance un bilan de 56 civils tués.
Alors que le chef de la junte, blessé à la tête, reste hospitalisé au Maroc et ne s’est toujours pas exprimé publiquement, le tireur, son ancien aide de camp, est en fuite. Aboubacar Sidiki Diakité, dit « Toumba », a justifié son geste par le fait que son mentor avait « essayé de faire reposer toutes les charges des événements du 28 septembre » sur lui.
C’est un autre homme du clan au pouvoir, le général Sékouba Konaté, qui dirige la Guinée, pour un intérim sans doute appelé à durer. Fin 2008, cet officier formé au Maroc, en France et en Chine avait été l’un des principaux artisans de la prise du pouvoir par l’armée, quelques heures après l’annonce de la mort du dictateur Lansana Conté, après vingt-quatre ans au pouvoir.
Moussa Dadis Camara et son exercice autocratique du pouvoir
Mais c’est Moussa Dadis Camara, officier fantasque, qui avait pris la tête de la junte. Il avait d’abord pris des mesures contre l’implication de membres du gouvernement et de l’armée dans le trafic de drogue, véritable fléau en Guinée depuis plusieurs années, et avait promis d’organiser une présidentielle le 31 janvier 2010, à laquelle il ne serait pas candidat.Cela lui avait valu un a priori favorable de l’opposition, jusqu’à ce que son exercice autocratique du pouvoir et son intention évidente de s’y maintenir ne lui aliènent ces soutiens. Le 28 septembre, le chef de l’État se trouvait d’ailleurs en tournée préélectorale en province.
L’attentat qui a visé le capitaine Camara a entraîné un changement de têtes au sommet de la junte, mais ne devrait pas modifier son projet : garder le pouvoir, synonyme de prébendes. « Le général Konaté est certes plus “présentable” que Dadis Camara, il est moins flamboyant et gaffeur, mais sur le fond il n’est en rien un démocrate convaincu, explique Gilles Yabi, consultant spécialiste de la Guinée. La junte est un agrégat d’intérêts partagés entre ses différents éléments. »
La société civile demande l’intervention d’une force internationale
S’y ajoutent des ressorts ethniques : après Sékou Touré, un Malinké, qui a dirigé la Guinée d’une main de fer pendant vingt-six ans, puis Lansana Conté, d’ethnie soussou, durant vingt-quatre ans, les Peuls, représentant 40 % de la population, attendent leur heure. Marié à une Peule, le général Konaté est malinké.L’opposition et la société civile réclament l’intervention d’une force internationale d’« accompagnement » de la transition. Le Groupe de contact international, réunissant l’Union africaine (UA), l’Union européenne, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, appelle de ses vœux une « mission internationale d’observation ».
Mêlant personnels civils et militaires, elle aurait pour mission d’« instaurer un climat de sécurité pour la population ». Un porte-parole de la junte a averti que l’envoi en Guinée de militaires étrangers sans l’autorisation du gouvernement serait considéré comme « une déclaration de guerre ».
« Cette mesure, qui serait à mes yeux indispensable pour permettre un règlement politique, sera difficile à mettre en œuvre, reconnaît Gilles Yabi. Et elle nécessiterait d’être négociée avec la junte. »
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