Grâce au téléphone portable et à Internet, l’immigré d’aujourd’hui est moins coupé de son environnement d’origine. À la figure du migrant déraciné se substitue celle du migrant connecté, présent à la fois « ici et là-bas »(Source : La Croix)C’était un jour de mars 1970. Laura s’en souvient à peine. Ce jour-là, sa mère l’a confiée à ses grands-parents avant de quitter, clandestinement, le Portugal de Salazar pour rejoindre son père en France. « J’avais deux ans et je n’ai pas revu mes parents pendant seize mois », raconte la jeune femme, soudain émue à l’évocation de ce passé lointain. « Ils m’écrivaient mais ne téléphonaient pas très souvent, aucun de nous n’avait de téléphone fixe et, à l’époque, les communications étaient chères. » C’était il y a presque quarante ans. Aujourd’hui, Laura vit à nouveau loin de ses parents mais « à présent, dit-elle dans un sourire, on s’appelle tous les jours ».
En quatre décennies, le secteur des télécommunications a connu une véritable révolution avec l’apparition des téléphones mobiles, la baisse du prix des communications et, plus récemment, la téléphonie via Internet, avec son et image. Des changements qui ont profondément bouleversé nos modes de vie et plus encore celui des migrants.
Feriel, une Algérienne de 38 ans, en France depuis deux ans, en témoigne avec enthousiasme : « J’utilise Skype (1), sur Internet, pour appeler mes deux enfants restés en Algérie, c’est plus économique et, avec la Webcam, j’ai l’impression de les avoir près de moi, raconte cette inspectrice des impôts, venue à Paris avec son mari pour soigner un de ses enfants malades. Avec ces nouveaux moyens de communication, on est présents malgré la distance. Là, par exemple, je viens de gronder mon fils qui n’a pas obéi à sa grand-mère ! » dit-elle en sortant d’un “taxiphone”, dans un cybercafé parisien. Bien sûr, il y a toujours le manque, intense, reconnaît cette mère qui n’a pas vu ses enfants depuis deux ans, mais je sais que je vais leur parler tous les soirs, alors cela diminue un peu la souffrance. »
"Le lien virtuel permet d’être présent auprès de la famille"
Toujours émaillée de ruptures, la vie du migrant du XXIe siècle n’a pourtant plus rien de commun avec celle de l’immigré déraciné d’autrefois. Aujourd’hui, « le lien virtuel – téléphone ou Internet – permet d’être présent auprès de la famille, auprès des autres, de savoir ce qui est en train de leur arriver au pays ou ailleurs, observe Dana Diminescu, sociologue, coordinatrice du programme “TIC Migrations” à la Maison des sciences de l’homme. Grâce à ces technologies, de plus en plus de migrants parviennent à entretenir à distance des relations qui s’apparentent à des rapports de proximité. L’idée de “présence” est évidemment moins physique, moins “topologique” mais plus active, de même que l’idée d’absence se trouve implicitement modifiée », précise la spécialiste.
Modifiée, mais parfois encore si douloureuse, pourrait répondre Mercedes dont le mari, sans papiers, a été expulsé au mois de juin dernier. « Cela a été un choc terrible, confie cette Colombienne installée en France avec ses trois enfants depuis huit ans. Heureusement, je peux lui parler tous les jours et même le voir avec la caméra de l’ordinateur, c’est une vraie bénédiction », ajoute cette femme très croyante. Actuellement hébergée par sa sœur, Mercedes espère, « avec l’aide de Dieu », pouvoir bientôt régulariser la situation de sa famille. En attendant, elle téléphone. « Les communications sont gratuites vers la Colombie, alors nous appelons au moins une à deux heures par jour, en général le soir, au moment du repas. »
Maintenir des liens forts « là-bas », tout en établissant des contacts, « ici »
« Vivre ensemble » malgré la distance, voilà l’un des prodiges des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Des outils très adaptés aux besoins des migrants, même si, évidemment, beaucoup d’entre eux, comme Yeboah, n’y ont pas encore accès. Ce Ghanéen de 44 ans, en France depuis 2001, utilise surtout les cartes prépayées avec un téléphone fixe pour joindre son « amie » et ses trois enfants. « Comme ma famille n’a pas encore Internet, c’est la formule la moins chère, dit-il. Je les appelle tous les deux ou trois jours, ça change la vie. »
Qu’ils utilisent le téléphone ou Internet, les nouveaux migrants réussissent à maintenir des liens forts avec leurs proches restés « là-bas », tout en établissant des contacts, « ici », dans la société d’accueil. La « double absence » – dans le pays d’origine et dans celui de destination où l’étranger reste isolé –, dont parlait le sociologue Abdemalek Sayad dans les années 1980, ne semble donc plus correspondre à la réalité, souligne Dana Diminescu. Désormais, l’immigré est à la fois « présent ici et là-bas ».
« Les nouvelles technologies ne permettent pas seulement de communiquer avec la famille, elles facilitent aussi l’intégration, explique la sociologue. Grâce au portable, notamment, les migrants , et en particulier les sans-papiers, peuvent chercher un travail et se constituer un réseau, très souvent d’ailleurs par l’intermédiaire d’un Français, précise-t-elle. Une étude menée avec Christian Licoppe, enseignant chercheur à Telecom ParisTech, montre que ceux qui ont su utiliser le mobile ont réussi à sortir de la précarité en six mois. » À l’ère du numérique, être intégré c’est également « être connecté aux systèmes digitalisés en place dans un pays (banque, transports, santé…), assure Dana Diminescu, autrement dit, être autonome dans l’environnement créé par les nouvelles technologies. »
Paula PINTO GOMES
(1) Skype est un logiciel qui permet de téléphoner via Internet. Les appels d’utilisateur à utilisateur sont gratuits, les appels vers les lignes téléphoniques fixes et les téléphones mobiles payants. Il propose également une messagerie instantanée et la possibilité de faire de la visioconférence (voir son interlocuteur et dialoguer avec lui). Windows Live Messenger (WLM, anciennement MSN Messenger) offre lui aussi des services de VoIP (pour Voice over IP, « voix sur réseau IP ») pour communiquer par la voix via Internet.