Le président ivoirien Laurent Gbagbo a annoncé vendredi dernier la dissolution du gouvernement d'union nationale et de la Commission électorale indépendante (CEI). Il hypothèque ainsi une nouvelle fois la perspective d'une élection présidentielle, promise depuis 2005 et censée mettre un terme à la crise politique dans lequel le pays se trouve englué depuis le coup d'État manqué de 2002.
LEFIGARO.FR. - Pourquoi Laurent Gbagbo a-t-il provoqué ce nouveau coup de théâtre ?
Gilles YABI. - Le problème de l'élection présidentielle en Côte d'Ivoire n'a pas changé depuis 2005 : il s'agit toujours pour Laurent Gbagbo de pouvoir y aller en étant assuré de sa réélection. Tant qu'il n'a pas cette garantie, il y a de fortes chances pour qu'il mette tout en œuvre pour reporter le scrutin. Or ces derniers temps, la Côte d'Ivoire approchait à grands pas de l'établissement de listes électorales définitives, ce qui rendait une élection de plus en plus inévitable. Laurent Gbagbo savait que c'était le moment ou jamais d'entraver à nouveau le processus.
Comment Laurent Gbagbo pourrait-il justifier de nouveaux reports ?
Après le coup de vendredi, l'opposition contestera sûrement la composition du nouveau gouvernement, puis de la nouvelle CEI, ce qui donnera lieu à de nouvelles négociations qui prendront du temps. Ensuite, il faudra reprendre le processus d'établissement des listes électorales là où il en était. On retrouvera donc les contentieux qui ont mené à la crise de ces dernières semaines. Puis Gbagbo a encore plus d'un tour dans son sac. Il pourrait par exemple s'appuyer sur le processus de désarmement de la rébellion ou sur celui des transferts de pouvoir dans le nord du pays, prévus comme des préalables à l'élection et qui sont au point mort. Autant de petits coups politiques qui font gagner à chaque fois quatre ou six mois.
Est-ce qu'une élection a toujours des chances de se tenir en 2010 ?
C'est peu probable. En 2005, quand l'élection a pour la première fois été annulée, personne n'imaginait qu'on puisse aller jusqu'en 2010 sans scrutin, et pourtant nous y sommes. A force de reports, le pays a fini par s'adapter à cette situation. Il fonctionne tant bien que mal et il n'y a pas d'urgence autre que démocratique à la tenue d'une élection.
L'opposition ne peut-elle pas réagir ?
En faisant traîner les choses, Laurent Gbagbo compte justement sur un essoufflement et une marginalisation de l'opposition. Il a toujours de nombreux partisans dans le pays et après presque dix ans de pouvoir, il bénéfice d'importants moyens financiers qui lui permettent de peser sur les élites. Enfin il dispose toujours de l'usage de la force et il n'hésitera pas en s'en servir. En 2004, la répression d'une manifestation de l'opposition avait fait plus de 100 morts à Abidjan.
La communauté internationale, engagée en Côte d'Ivoire, pourra-t-elle encore laisser passer une année sans élection?
Ces derniers temps, la communauté internationale a essayé de laisser le processus aux mains des Ivoiriens. En voyant que 2010 risque de passer sans élection, elle pourrait bien se réinvestir mais sa marge de manœuvre est faible. Un retrait des forces* signifierait une perte irrémédiable d'influence. Les sanctions des Nations Unies sont déjà en place et semblent sans effet. Finalement, l'unique porte de sortie pourrait bien être de valider une élection contestable maintenant le pouvoir en place. Dans ce cas, Laurent Gbagbo aurait eu tout le monde à l'usure.
* La force de l'ONU compte 7.450 hommes en Côte d'Ivoire, dont 900 appartenant aux forces françaises «Licorne». Le Conseil de sécurité a renouvelé fin janvier leur mandat pour quatre mois et prévoit même d'augmenter, pour la durée du processus électoral, leur nombre à 7.950.
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