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vendredi 15 janvier 2010

[MUSIQUE] Richard Bona, le blues sans frontières (Le Monde)

Le blues n'est né ni en Afrique ni dans le delta du Mississippi. Parole de Bona ! Gonflé, le gaillard ! Un peu radical, à côté de la plaque, Richard Bona ? Suspecté de dire n'importe quoi pour se faire remarquer ? Ce n'est pas le genre. Bassiste de jazz et chanteur au talent sûr, apprécié autant pour ses qualités humaines que musicales, Richard Bona est une crème. Un type bien, gentil, humble, généreux. Une belle âme.

Tous ceux qui le fréquentent et l'ont approché s'accordent à le dire. Depuis le Cameroun, où il naît en 1967 et qu'il quitte à l'âge de 20 ans pour l'Europe (l'Allemagne, pendant deux mois, puis la France), jusqu'aux Etats-Unis, où il s'installe au mitan des années 1990. Alors quoi ? Le blues est partout, affirme-t-il. Universel, dirait-on pour simplifier. C'est ce qu'il entend démontrer à travers The Ten Shades of Blues ("Les dix nuances du blues"), son nouvel album (Universal Jazz).

Le blues, il le voit d'abord "comme une gamme de cinq notes, présente dans différentes traditions et expressions musicales. On le trouve dans le Mississippi, en Afrique de l'Ouest, mais aussi en Irlande, dans le flamenco, dans des endroits où il n'y a aucune traçabilité pouvant démontrer que ce sont des Noirs qui l'ont amené là. Les origines du blues sont très mystérieuses..." Richard Bona est friand de ce genre d'énigme.

Il porte en lui quelque chose de mystérieux, assure son compatriote, le saxophoniste Manu Dibango, l'une des nombreuses célébrités avec lesquelles Richard Bona a joué. "Il est sur une autre planète. D'ailleurs il chante des textes en douala (une des langues du Cameroun) que très peu de gens qui le parlent arrivent à comprendre. On ne sait jamais où il va avec ses paroles. C'est un mec habité d'une solitude assez spéciale. " Richard Bona en convient. S'il vit de belles amitiés, il n'en est pas moins plutôt solitaire.

Il n'avance pas dans des brumes improbables le matin, il a les idées claires, le contact facile et le sourire avenant, car il ne traîne guère dans les lieux de la nuit. "D'ailleurs, j'ai horreur de la fumée, de la foule. Quand je n'ai pas de concert, j'aime être chez moi, jouer, composer." Il se lève à la première heure. Ce besoin de solitude, cette habitude de ne pas s'attarder au lit lui viennent peut-être de son enfance au Cameroun, raconte le musicien. "J'accompagnais mon grand-père, un modeste agriculteur, très tôt aux champs et je n'aimais pas me joindre aux autres gamins. Je préférais jouer ma musique dans mon coin, tout seul."

Son refuge aujourd'hui, son nid, c'est un loft à Brooklyn, "le plus beau quartier du monde". Manu Dibango avait jeté l'ancre en France en 1949. Richard Bona, lui, l'a fait quarante ans plus tard - "J'avais soif de rencontres musicales " - avant de déguerpir pour les Etats-Unis, en 1995. Les autorités françaises avaient refusé de lui renouveler sa carte de séjour, parce qu'il y avait trop de bassistes français inscrits à l'ANPE. Il n'y a pas de place pour les musiciens étrangers quand le marché est saturé.

La décision administrative aura comme effet collatéral de lui muscler les mollets. "Pour éviter les contrôles dans le métro, je me déplaçais en vélo." Il avait une frousse dingue de "Charlie Pasqua. Yes, man !". Depuis qu'il vit aux Etats-Unis, il bifurque souvent ainsi vers sa langue d'adoption.

Richard Bona adore s'amuser. "Les gens qui me font rire me sont précieux. Avec Manu Dibango, par exemple, on rigole beaucoup. C'est un ancien, il a toujours plein d'histoires à raconter." Le chanteur congolais Lokua Kanza assure qu'"en dehors d'être un excellent artiste Richard est aussi un comique de premier ordre. En tournée avec lui, on était morts de rire".

Le pianiste de jazz Jean-Michel Pilc renchérit : "Richard est un monument de musicalité, de groove et de joie de vivre." Il s'est installé aux Etats-Unis la même année que lui. Tous deux se sont rencontrés au début des années 1990, dans le groupe du batteur Francis Lassus, Bohé Combo, puis ils ont joué quelques mois avec le trompettiste Eric Le Lann. "Notre amitié et notre complicité musicale se sont approfondies avec les années."

Aux Etats-Unis, ils jouent avec Harry Belafonte, pour lequel Richard Bona sera directeur musical. A New York, il devient le bassiste en vue. Tout le monde le réclame. Il travaille avec George Benson, Paul Simon, Chaka Khan, Chick Corea, Bobby McFerrin, Joe Zawinul... Il prend la nationalité américaine et, pour la première fois, en 2008, a voté à l'élection présidentielle. La politique n'a jamais été son affaire, mais un jour, dans un taxi, tout bascule. "J'entends à la radio un sénateur qui s'oppose à la guerre en Irak." Surprise : l'orateur s'appelle Obama. "Un nom de chez nous, il y a des Obama dans le sud du Cameroun. Il parlait de non-violence, du mensonge de la présence d'armes de destruction massive, comme prétexte à l'invasion de l'Irak."

Barack Obama, futur candidat à l'élection présidentielle, gagne ce jour-là la voix d'un abstentionniste récurrent. Richard Bona participera à des concerts de soutien. Après la victoire, quand Barak Obama décidera d'envoyer des renforts en Afghanistan, la pilule ne passe pas. "Il avait oublié ses paroles sur la non-violence." Le musicien adresse alors un courriel au président pour lui dire sa désapprobation, sans lui retirer pour autant sa confiance. Richard Bona est du genre positif.

Sa manière de voir la vie, toujours du bon côté, son aptitude à la légèreté, il les doit à son grand-père, Messanga Engong Innocent, celui qui l'a poussé vers la musique. "Il était rock'n'roll, man ! J'ai eu la chance de connaître un grand-père fantastique." Ayant remarqué la fascination du bambin pour le balafon - un instrument traditionnel fait de lamelles de bois fixées sur des calebasses - à 3 ans, il lui en colle un, fait maison, dans les mains. Ce sera le premier instrument de Richard Bona, avant qu'il ne craque, des années plus tard, pour la basse, en entendant Jaco Pastorius, l'idole de tous les bassistes (décédé en 1987).

Le grand-père, c'était un drôle. "Chaque fois qu'un avion passait dans le ciel du village, il disait : "Ah, ils s'en vont encore dans la lune !"" Un sage aussi, "comme tous les anciens en Afrique". Un jour où le gamin refusait d'aller jouer à l'église, considérant que son niveau, désormais, méritait mieux, le grand-père l'a pris entre quatre yeux, le soir, à la maison. "Il m'a dit : "Tu sais, le talent que tu peux avoir, c'est cadeau, on te l'a donné. Il va te faire monter. Quand tu seras au sommet, le seul endroit qu'il te restera où aller, c'est vers le bas. Pendant que tu montais, tu as croisé des gens. Si tu leur as manqué de respect, quand tu redescendras, ils ne t'accompagneront pas."" Richard Bona a retenu la leçon.

1 commentaire:

  1. Bonjour et merci pour ce superbe article sur Monsieur Richard BONA dont je suis fan depuis bien longtemps. Très bon portrait de cet artiste hors du commun qui j'en suis sûre nous a encore concosté un petit bijoux d'album. Merci à vous, Merci Richard et que votre Dieu vous garde. Isabelle.

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