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mardi 12 janvier 2010

[NIGERIA] La guerre du Biafra: pourquoi? (L'Express)


"Nous mourrons sans une larme." Ce sont les derniers mots de l'hymne du Biafra. Comme une sorte de messe basse, ils ne sont plus chantés que par les rescapés de la tragédie, orphelins d'un pays qui a rêvé d'exister. Après trente-deux mois d'une guerre féroce, le Nigeria a écrasé la sécession biafraise. Et les foules blanches assistent, consternées ou révulsées, à l'agonie d'un peuple noir qui croyait au Christ. Le mot Biafra lui-même doit être rayé des cartes. Cent vingt mille soldats d'un côté, à peine trente mille de l'autre, cela suffit à expliquer la défaite.
Celui qui fut l'âme de la rébellion, le général Ojukwu, lance des déclarations: "Le Biafra vit, la lutte continue." Mais il est en fuite. Il s'en est allé, une petite valise à la main, par les voies secrètes de l'exil, léguant au général Philip Effiong le soin de conclure la reddition.
Celle-ci a eu lieu, jeudi, au quartier général de Dodar, près de Lagos, où le vaincu était accueilli par le vainqueur, le major général Yakubu Gowon, chef de l'Etat nigérian. Les deux hommes se sont embrassés. "Welcome back, Philip", a dit le vainqueur. Bienvenue pour votre retour. L'ex-fiancée du chef nigérian, Edith Ike, une Biafraise de 25 ans, qui poursuit ses études à Londres, l'a supplié de se montrer clément. La rupture de leur liaison, en 1967, avait été le premier drame intime de la guerre.

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Yacubu Gowon accueille le secrétaire des Nations Unis U Thant, en janvier 1970.
On se battait encore en brousse lorsque, le lundi, le général Gowon a reçu l'ambassadeur d'URSS à Lagos, M. Alexander Romanov, pour lui dire sa gratitude. Assurée par les Russes et les Britanniques, l'abondance des armes a triomphé de la pauvreté des moyens. Sur la France, qui avait donné aux Biafrais de rares mortiers et quelques fusils pour braconner, est tombé, mercredi, le verdict de Gowon: ses offres de secours sont repoussées, et elle est rangée sans ménagement dans le quarteron des "pays hostiles", avec l'Afrique du Sud, le Portugal et la Rhodésie.
Terreurs
Il y avait quarante places à bord du dernier avion qui a quitté le Biafra. Et une liste d'attente de quelques millions de désespérés. Depuis des mois, le "réduit" biafrais avait fondu et n'était plus relié au monde que par la piste d'atterrissage d'Uli, fréquemment bombardée. L'autre samedi, dans la panique lucide des heures d'Apocalypse, ce peuple assiégé avait compris que tout s'écroulait. Et il s'est mis à courir sur les routes, sans but, ne sachant plus même où était l'ennemi, mais guidé encore, parmi tant de terreurs, par le bruit des moteurs du DC 4 qui tentait de se poser.
Un Biafrais, sorti ce soir-là de l'enfer, raconte son odyssée: "Au pied de l'échelle métallique donnant accès à l'avion, se tenait le colonel Achuzia. J'avais gagné le premier rang et j'allais passer lorsque je sentis contre ma poitrine le canon de son arme. Soudain, il cessa de s'occuper de moi pour appeler sa femme. Ils devaient partir ensemble, mais il l'avait perdue dans les remous de la foule. Il se lança alors à travers la masse de formes humaines, et j'en profitai pour grimper à bord moins d'une minute avant que la porte ne claque."
Le front a craqué en trois jours. "Les Ibos, nous dit le Dr Bernard Kouchner, médecin de la Croix-Rouge française qui a effectué trois séjours au Biafra, étaient vidés et las, plus vidés que las. Les gens ne supportaient plus la conscription autoritaire, instituée ces derniers temps. Un jour, une patrouille est venue embarquer tous les travailleurs de l'hôpital. Pendant toute l'année 1968, il y avait plusieurs milliers de morts par jour. Moins en 1969.

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La famine sévit, touchant en priorité les enfants du Biafra.
"Le front s'étant stabilisé, beaucoup de villageois avaient pu cultiver du manioc. Mais, dans chacun des 240 centres pour enfants, trois à cinq enfants mouraient tous les jours. Les prises de sang étaient révélatrices: 50% seulement de globules rouges." Et Mgr Jean Rodhain, à qui le Pape vient de confier une "mission d'information" au Nigeria, donne ce détail: il a fallu interrompre les envois de sacs de farine de 100 kilos, et les remplacer d'urgence par des sacs de 5 à 10 kilos. Comme la guerre, les secours étaient trop lourds pour les bras biafrais.
Néant
Le bastion biafrais a été enlevé au pas de course du fait d'un véritable "complot" des commandants nigérians sur le terrain. Un de nos envoyés spéciaux au Nigeria révèle que la surprise a été aussi totale pour le gouvernement nigérian que pour le reste du monde. Comme à chaque fois dans le passé, le général Gowon avait ordonné une "offensive limitée", ayant pour objectif la capture d'Owerri, capitale du "réduit". C'était, espérait-il, la meilleure façon d'amener Ojukwu à composer. Les officiers de l'avant en ont décidé autrement. Leur plan était d'avancer sans se retourner, de couper en trois tronçons la poche biafraise, et d'occuper jusqu'au dernier arbre. Ils ont réussi, au-delà même de leur calcul, mais l'intendance n'était pas prête. Rien n'avait été prévu pour cette chute dans le néant.
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