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samedi 6 février 2010

[DEBAT] Statistiques ethniques : un rapport, deux critiques (Libération)

Patrick Lozès, président du Cran, et Jean-François Amadieu, président de l'Observatoire des discriminations – respectivement pro et anti statistiques ethniques – réagissent au document remis vendredi à Yazid Sabeg.

Après maints reports, le comité pour la mesure de la diversité et des discriminations (Comedd), chargé de réfléchir sur la question controversée des statistiques ethniques, a remis ce vendredi son rapport (à consulter ici) au commissaire à l’Egalité des chances, Yazid Sabeg.

Le comité, présidé par le démographe François Héran, écarte l'idée d'une nouvelle loi et fait plusieurs propositions. Il préconise notamment de s’en tenir, pour les statistiques publiques courantes, à l’utilisation de données issues de l’état civil, comme le pays de naissance ou la nationalité des parents. Pour autant, il n’écarte pas totalement le recours à des critères ethno-raciaux, comme c’est déjà le cas pour des enquêtes ciblées réalisées par des chercheurs, mais avec un «contrôle accru» de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil).

Comment ce rapport est-il reçu ? Les réactions de deux acteurs aux positions contrastées dans ce débat.

«Il faut aller plus loin»

Patrick Lozès, président du Conseil représentatif des associations noires (le Cran), milite de longue date pour des «statistiques de la diversité» (terme que le Cran préfère à celui de statistiques ethniques), pour deux raisons principales: mesurer la diversité permettrait de rendre compte de la discrimination «indirecte», tout au long d'une carrière par exemple ; et, en exprimant un signal fort de l'investissement des pouvoirs publics, «constituerait le meilleur outil contre le repli identitaire».

«Ce rapport clôt une phase scientifique et ouvre une phase politique. Au gouvernement, aux parlementaires de se saisir maintenant de ces propositions et d'aller plus loin.

Un point très positif: le rapport rappelle que les chercheurs ont déjà le droit, dans le cadre d'enquêtes ciblées, de recueillir le «ressenti d'appartenance» des enquêtés, le Conseil constitutionnel l'a confirmé. Réaffirmer cela signifie deux choses. D'abord qu'à cadre législatif constant, on pourrait faire plus. Ensuite que traiter ces données n'est pas incompatible avec les valeurs de la République. Pas plus que ça n’impose une marche forcée vers la mise en place de la discrimination positive.

Néanmoins, il faudrait aller plus loin dans la collecte de ces informations sur le ressenti. Je travaille avec Manuel Valls (PS) et d'autres députés à une proposition de loi en ce sens. Il n'est bien sûr pas question de remettre en cause le contrôle de la Commission nationale informatique et libertés (Cnil), au contraire. Ces statistiques doivent être anonymes, autodéclarées, facultatives.

En aucun cas il ne s'agit de constituer des fichiers ethniques, mais bien de nous donner un outil de connaissance dont nous avons besoin de manière urgente. Il n'est pas normal que dans notre pays nous n'ayons toujours aucun moyen de savoir si sur ces cinq, dix dernières années les discriminations ont augmenté ou diminué. N'attendons pas de sacrifier une génération pour faire bouger les choses.»

«On devine l'objectif de classement ethno-racial qui est derrière»

Jean-François Amadieu, sociologue à l'université Paris I et président de l'Observatoire des discriminations, laboratoire d'études et de mesures de toutes les formes d'inégalité des chances. Auditionné dans le cadre du rapport, il se positionne clairement contre les statistiques ethniques. Il a d'ailleurs créé avec plusieurs universitaires, au printemps dernier, «le Comité alternatif de réflexion sur les statistiques ethniques et les discriminations».

«Le fait de prendre en compte le pays d'origine et la nationalité des parents est une bonne idée. C'est une proposition assez consensuelle. Même si cet instrument de mesure ne suffit évidemment pas puisqu'il n'est valable que sur deux générations.

Plus inquiétante en revanche est la volonté de distinguer les rapatriés (d'anciennes colonies, ndlr) des immigrés. Sur quels critères ? Qu'est-ce qui les différencie ? Le rapport ne le dit pas... Mais on devine l'objectif de classement ethno-racial qui est derrière.

Autre préconisation complètement aberrante du rapport : vouloir comparer la situation de chaque entreprise en matière de diversité par rapport à son bassin d'emploi.... C'est n'importe quoi, la méthode est grossière et n'apporte rien. Je prend un exemple : pour savoir si un délégué syndical est victime de discrimination, il ne sert à rien de comparer sa situation par rapport au bassin d'emploi ! Il faut regarder son cas (salaire, évolution de carrière) par rapport à celui des salariés de l'entreprise qui sont au même niveau en termes de qualification et d'ancienneté.

De la même manière, demander aux entreprises un rapport annuel sur la diversité ne permet pas de lutter contre les discriminations. On voit la démarche : instaurer des quotas diversité dans les entreprise avec une politique d'objectifs et de sanctions... Ce n'est pas comme ça qu'on luttera contre les discriminations.»

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