Pages

samedi 13 février 2010

[IMMIGRATION] "L'avant-projet de loi Besson sur les étrangers est anticonstitutionnel"


Interview Pour Sandrine Mazetier, secrétaire nationale PS à l'immigration, l'avant-projet de loi d'Eric Besson visant à réformer le Code de l'entrée et du séjour des étrangers est aussi et surtout un texte à visée électoraliste.
Quelle est votre réaction, globalement, à l'avant-projet de loi visant à réformer le Code de l'entrée et du séjour des étrangers qui est sorti dans la presse vendredi 12 février ?

- Ça m'a tout l'air d'être une série de fuites opportunément orchestrée pour que la presse en parle. A mon avis, l'avant-projet n'a même pas encore été déposé pour avis au Conseil d'Etat. (Une information invérifiable auprès du Conseil d'Etat, qui la réserve aux membres du gouvernement, ndlr). On est dans la même logique que le projet de loi Loppsi : le gouvernement cherche à montrer à l'opinion publique, avant les élections régionales, qu'il agit sur la sécurité. Il veut ainsi conforter l'électorat UMP et maintenir l'attention des électeurs du FN. Mais ce ne sont en réalité que des mesures d'affichage qu'on ne verra pas à l'Assemblée avant des mois. A titre personnel, j'estime qu'Eric Besson est largement démonétisé. Celui qu'on annonçait il y a 6 mois comme le nouveau chouchou de Nicolas Sarkozy vient de se prendre un semestre épouvantable. Il cherche par se biais à se "remonétiser".
Quant au contenu du texte, il y a toute une série de mesures dans cet avant-projet de loi qui vont sûrement être déconseillées par le Conseil d'Etat, à commencer par l'offensive contre le pouvoir des juges et le respect du droit.

Justement, que pensez-vous de la création d'une "zone spéciale d'attente" ? Le Gisti parle de l'instauration d'un régime d'exception...


- Cela va faire plaisir à la maire de Calais : la Calaisie va devenir une immense zone d'attente. Quant au pouvoir donné au préfet, il est exorbitant. Le fait qu'il puisse par décret faire en sorte que l'Etat s'affranchisse des délais et des procédures pourrait poser problème au niveau du Conseil d'Etat. S'agit-il d'un régime d'exception ? Oui, je pense comme le Gisti.

Pour ce qui est de "la directive retour", Eric Besson applique la directive européenne. Peut-on le lui reprocher ?


- Sur la question de la transcription des directives européennes dans le droit français, Eric Besson justifie certaines mesures en prétextant qu'il n'y a rien dans la législation française permettant de réagir à l'afflux massif de migrants. C'est faux : il y a la directive européenne de protection temporaire, transcrite dans le droit français en 2005, qui permet justement de faire face à l'afflux massif d'immigrés. Nous avons d'ailleurs déposé mercredi une résolution à l'Assemblée et au Sénat pour demander l'application de cette directive. Au niveau européen comme au niveau français, nous disposons d'une boîte à outils déjà bien fournie.
Pour ce qui est de la directive retour, le PS y a toujours été violemment opposé. Je veux m'arrêter sur un point. La directive retour parle d'une durée de rétention maximum de 18 mois, mais elle n'oblige en aucun cas à s'aligner sur cette durée. Or, dans son texte, Eric Besson profite de cette directive pour allonger la durée de rétention, ce que l'on condamne.
Et puisqu'on parle de l'Europe, j'ajoute que cet avant-projet de loi me semble en contradiction avec le programme de Stockholm, qui porte sur la justice, l'asile et l'immigration dans l'Union européenne et qui a valeur de charte des droits fondamentaux. De plus, le préambule du traité de Lisbonne a désormais une valeur contraignante.
Enfin, la France fait partie des pays les plus tardifs à retranscrire les directives européennes. Et on serait bizarrement les premiers à retranscrire la directive retour ? On finira par le faire, mais ça ne se passera pas aussi vite que veut le faire croire Eric Besson.

Le texte affaiblit le rôle du juge des libertés et de la détention. Comment accueillez-vous cette nouvelle limitation de ses pouvoirs ?


- C'est absolument scandaleux. Et d'emblée anticonstitutionnel. Nul ne peut être détenu, sans qu'il y ait eu une décision de justice. La Convention européenne des droits de l'Homme est très stricte là-dessus. Et à ma connaissance, cela n'a rien à voir avec la directive retour. 48h seulement pour déposer un recours, et le fait que le juge des libertés et de la détention sera tenu de prendre en compte des circonstances pratico-pratiques pour apprécier "les délais relatifs à la notification de la décision, à l'information des droits et à leur prise d'effet", comme dit le texte, c'est franchement, je le répète, anticonstitutionnel.
Cela participe de l'offensive de l'exécutif contre le judiciaire, à laquelle on assiste de la part de ce gouvernement. On est une fois de plus dans le déséquilibre inadmissible des pouvoirs.

Que compte faire le PS face à ces mesures ?

- On ne va pas tomber dans le piège de la provocation et de la polémique. Pour l'instant, nous considérons ce texte comme virtuel. On mènera la bataille point par point à l'Assemblée et au Sénat quand le texte arrivera devant nous. On essaiera de convaincre ceux de l'UMP qui sont démocrates et si on n'y parvient pas, on déposera alors un recours devant le Conseil constitutionnel, car son contenu est condamnable quasiment intégralement.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire